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Au musée d’Al Kasbah, le Tanger intime de Mounir Fatmi et Guillaume de Sardes

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Habitée par les figures mythiques et paternelles de Paul Bowles et de Jean Genet, l’exposition « Tangier / Something is possible » , qui réunit Mounir Fatmi et l’écrivain-photographe Guillaume de Sardes, aborde la ville de Tanger sous l’angle du désir et s’interroge en filigrane sur la nature même des images photographiques. 

« S’il n’y a pas de désir, il n’y a pas de photographie », assure Mounir Fatmi qui, dans l’exposition « Tangier / Something is possible » conçue avec Guillaume de Sardes, choisit de montrer des photos de sa ville natale réalisées depuis 1999, et restées jusqu’à ce jour invisibles. Qu’elles soient prises avec des appareils argentiques ou numériques, parfois avec un sténopé, les photos de la série Presque rien hantent le marché aux puces de Casabarata dans lequel Fatmi passa une partie de son enfance, en compagnie de sa mère qui y vendait les vêtements confectionnés à la maison, avec la sœur de l’artiste. Photographies en noir et blanc n’éclipsant aucune rudesse, qu’il s’agisse de montrer des baraquements de fortune ou autre bric-à-brac d’une grande précarité. « Le marché est violent », se souvient l’artiste qui n’hésite pas à assimiler ce travail photographique à une quête symbolique du père : « Ce marché était comme un père virtuel. Un père qui nous nourrissait puisque c’était là où l’on gagnait notre argent ». Père symbolique qu’incarne aussi la figure de Paul Bowles dont un poème donne son titre à la série Presque rien.

mounir fatmi, TANGIER, something is possible - Courtesy of the artist, Goodman Gallery Johannesburg and Jane Lombard New York.

Une quête analogue guide l’écrivain-photographe Guillaume de Sardes, parti à la recherche des lieux devenus mythiques qu’a traversés l’écrivain Jean Genet. La série Se remémorer Tanger est le troisième volet d’un triptyque ayant débuté par un essai Genet à Tanger (éditions Hermann, 2018) et s’étant poursuivi par un court-métrage du même nom que les spectateurs tangérois pourront découvrir lors du finissage de l’exposition, en septembre prochain. « On cherche dans la photo les pères qu’on n’a pas trouvés dans la réalité », résume Fatmi. « Mon travail s’inscrit dans la photographie de l’intime, reconnaît avec pudeur Guillaume de Sardes. Pour moi, la mémoire commence avec l’image photographique, dans le sens où j’oublie beaucoup les choses ». 

mounir fatmi, TANGIER, something is possible - Courtesy of the artist, Goodman Gallery Johannesburg and Jane Lombard New York.

De la délicatesse en photographie

Privilégiant des compositions en forme de diptyques, toujours accompagnées d’un texte écrit postérieurement pour se souvenir, l’écrivain exploite tout le potentiel narratif de l’image photographique : « Je suis intéressé par la narration, explique-t-il. Le rapport formel qui se crée entre deux images est déjà un début d’histoire. » Ainsi en va-t-il pour les liens qui se tissent entre la photographie et le texte conduisant le spectateur à méditer sur la délicatesse des instants fugitifs captés par le photographe.

Comme le critique Roland Barthes parlait d’une « écriture blanche » pour caractériser le style littéraire de Marguerite Duras, Guillaume de Sardes se demande s’il n’existerait pas « une photographie blanche », une tentation du neutre qu’il assimile à « une forme de simplicité et d’élégance ».

©Guillaume de Sardes

Délicatesse que l’on retrouve dans le noir et blanc plus atemporel de Mounir Fatmi, qui accompagne les prises de vue de Casabarata de photos urbaines dérobées à l’instant, comme celle de cette jeune fille attendant, à l’aube, sous un panneau publicitaire, le bus qui la conduira à l’usine de confection dans laquelle elle travaille. Ou celle de ce couple situé à côté d’une ancienne cabine téléphonique dont l’artiste se rappelle le lien que cet objet aujourd’hui disparu entretenait avec la monnaie. Obsolescence de la technique chère à son travail dont le noir et blanc souligne le caractère factice : « Le noir et blanc est une illusion en soi, commente-t-il. Il crée un flou et montre que l’image ne dit jamais rien ». Rien d’autre qu’elle-même, ce presque rien qui donne son titre à sa série. Nostalgie du passé, nostalgie de l’art tout aussi bien.

Olivier Rachet

Exposition « Tangier / Something is possible », de Mounir Fatmi et Guillaume de Sardes, Musée la Kasbah des cultures méditerranéennes à Tanger, jusqu’au 18 septembre. 

Un livre accompagnant l’exposition est publié aux éditions KAHL. 

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