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BARTHÉLÉMY TOGUO REBELLE PAR NATURE

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Rencontre avec l’un des plus grands artistes contemporains africains а l’occasion de sa première résidence au Maroc, tandis que ses oeuvres les plus emblématiques sont exposées au Parrish Art Museum de New York. 

 

 

L’homme semble débonnaire, puissant, il parle d’une voix lente en choisissant chaque mot avec soin, presque comme un homme politique. Barthélémy Toguo connaît bien le « Grand Jeu » qui fait tourner le monde, et depuis une trentaine d’années maintenant, joue sa partie entre échiquier nord et échiquier sud. Sorti de l’École des Beaux-Arts d’Abidjan en 1989, il se forme ensuite à l’École supérieure d’art de Grenoble et à la Kunstakademie de Düsseldorf en Allemagne. Dès la fin des années 1990, il rencontre Hans-Ulrich Obrist et Jean-Hubert Martin, puis participe à « Africa Remix » en 2005 et aux biennales de Lyon, La Havane, Séville et Venise. Nommé pour le Prix Marcel-Duchamp en 2016, l’artiste camerounais est aujourd’hui devenu incontournable sur la scène mondiale. Il n’en oublie pas moins de valoriser le continent dont il est issu, pour mieux briser les règles du « Grand Jeu » et donner la main à ceux qui en ont besoin, grâce à Bandjoun Station, à la fois musée, résidence artistique et projet agricole au Cameroun. 

 

INDIGNEZ-VOUS!

« Il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent », disait Albert Camus du rôle de l’artiste dans son discours de réception du Prix Nobel de Littérature à Oslo, le 10 décembre 1957. Cette phrase a donné corps à l’engagement artistique de Barthélémy Toguo et guidé ses premières séries. Depuis ses débuts en Europe à l’aube des années 90, il est un artiste en perpétuelle rébellion contre les dysfonctionnements du monde. Probablement à cause de son expérience personnelle, qui a marqué à jamais son identité malmenée d’artiste africain dans l’espace Schengen. En 1993, le jeune étudiant des Beaux-Arts de Grenoble se retrouve directement confronté au délit de faciès qui sévit alors dans toutes les gares et aéroports de la zone euro. Un choc, une humiliation, qu’il choisira de détourner avec humour dans ses premières performances intitulées Transit. Grimé en éboueur, il provoque le système qui l’a autrefois rejeté en voyageant en première classe du TGV, déplaçant ainsi la figure de « l’Africain » dans les hautes sphères de la société française. L’injustice, particulièrement celle qui oppose le Nord et le Sud, est son meilleur carburant. Sa pièce la plus emblématique, Road to Exile, reproduit une embarcation de fortune comme celles empruntées par les migrants traversant la Méditerranée. Présentée pour la première fois en 2008 au Musée de l’histoire de l’immigration à Paris – un lieu lourd de sens –, l’installation a beaucoup voyagé depuis, de Lisbonne à Vienne en passant par Bruxelles – un autre symbole, alors que cette pièce parle de périple parfois sans retour. « J’ai voulu montrer les difficultés de ce voyage par des éléments comme ce lit de bouteilles, telles des bouteilles jetées à la mer, sur lequel est posée la barque. Elle montre la fragilité et en même temps la dangerosité de ce chargement explosif. » 

 

HOMME VS NATURE

Barthélémy Toguo semble en tiraillement continu entre son engagement citoyen et son désir d’équilibre avec le monde. Ne peut-on trouver la paix que dans la lutte ? Sa première œuvre Une autre vie (1993) disait déjà la césure entre l’Homme et la nature. Inspiré par la déforestation ravageant alors son pays, mais peut- être aussi influencé par le mode de vie occidental déconnecté de la Terre Mère, il voulait déjà « exprimer une similitude entre des parties de mon corps et des bouts de bois, pour rapprocher l’homme de l’élément végétal et prôner un dialogue qui dit que l’on doit vivre ensemble. » Ses dessins des années 2010 appellent à cette même rencontre en se connectant notamment aux instincts les plus primitifs – y compris sexuels –, dans une célébration du désir et de la vie. Il poursuit ce discours avec Homo Planta, une série dévoilée ce printemps à la Fondation Blachère à Apt. Développée cet automne à l’occasion de son solo show au Parrish Art Museum à New York, elle est la nouvelle obsession de Barthélémy Toguo : il en a produit quatre grands formats, utilisant aquarelle, encre de Chine et acrylique, lors de sa résidence à Casablanca en août dernier. « C’est un travail plus graphique, ou j’ai pu reprendre mon vœu, depuis Une autre vie, de voir l’homme cohabiter avec la nature, au regard des changements climatiques que l’on vit et de et la vision des politiques, comme celle du président Trump, qui a retiré les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. » C’est l’un des combats de sa vie : recouvrer, et appeler à recouvrer, les liens qui unissent l’être humain à la terre. Un positionnement auquel il donne corps dans une sorte d’œuvre d’art totale, Bandjoun Station.

 

 

Propos recueillis par Marie Moignard

 

Découvrez l'intégralité de cet article dans diptyk#45, actuellement en kiosque

 

Visite du stand, dans la zone réservée à la société civile
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Project Space Slaughter House, annexe de la Deste Foundation installée en 2009 par le collectionneur Dakis Joannou dans l'ancien abattoir de l'île - Copyright Marie Moignard
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Abdelaziz Zerrou et Pauline Simons lors du vernissage d'Atlasouna, le 14 juillet dernier à Hydra - Copyright Marie Moignard.
Abdelaziz Zerrou et Pauline Simons lors du vernissage d'Atlasouna, le 14 juillet dernier à Hydra - Copyright Marie Moignard.
Fragments de mon être, 2017. Photographie numérique. © Abderrahmane Doukkane
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Jack Greeley-Ward, « Lepidoptera » (vidéo)
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Manuel Mendive, Energías para el amor y la bondad, 2015, installation, acrylique sur toile et coquillages de porcelaine, 281,3 x 198,1 cm © Ltd Christie’s 2018
Manuel Mendive, Energías para el amor y la bondad, 2015, installation, acrylique sur toile et coquillages de porcelaine, 281,3 x 198,1 cm © Ltd Christie’s 2018
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