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BIENNALE DE MARRAKECH JOUR 3 – VERNISSAGE D’ERIC VAN HOVE A LA VOICE GALLERY

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Eric Van Hove, fabricant de rêve 

 

Artiste providentiel de la Biennale, Eric Van Hove s’active au cœur de sa résidence-atelier où il a réuni des artisans autour d’un projet fou : réactiver un projet avorté, construire le moteur V12 100% marocain : un objet entre art et technologie fait uniquement de pièces artisanales. Si aucune voiture ne roulera jamais avec, l’objet est beau comme une œuvre d’art mais surtout fonctionnel comme un poème. Une revanche de l’artisanat sur le post-fordisme.

 

Par Syham Weigant

 

C’est une rencontre qui peut changer votre vie. Ce que l’on sent dans ses yeux délavés de marin de l’Escaut, c’est qu’il nous donne aussi la possibilité de changer la sienne à tout moment. Longtemps « nomade assidu » il veut « être dans le monde, pour le comprendre et le vivre ». Sans adresse fixe, il est étranger et en même temps fait partie de chaque horizon qu’il traverse. Ce qu’il crée, assemble et réalise aujourd’hui à Marrakech est la « somme* » de ces années de voyage, de ses interrogations artistiques soutenues. « J’ai commencé par tout disperser pour répandre mon corps à travers l’espace. Le moteur procède d’une énergie inverse où il s’agissait de rassembler. » Une belle métaphore qui examine les mécaniques d’un système qui peut être transposé à toute échelle. Ce dénouement en forme de prologue est celui d’un projet qu’il porte depuis 5 ans et qui, entre hommage et pied de nez décide de compléter l’aventure inachevée de M. Laraki et son rêve de voiture 100% marocaine. Finalement, la réalisation définitive de l’entrepreneur, même si elle est présentée au Salon de Genève de 2004, est une sorte de coquille vide, puisque devant l’incapacité de l’industrie marocaine à le produire, le moteur sera finalement commandé en Europe. Or « une voiture sans moteur n’est que de la carrosserie » et c’est l’idée de départ d’Eric Van Hove : finir le moteur ici, à Marrakech avec cette entité anonyme et informelle de l’industrie marocaine : les artisans. Il récupère donc, avec les moyens du bord (après les refus de Mercedes) le moteur d’une voiture crashée à Riga en Lettonie, qu’il entreprend de démonter en compagnie de 55 artisans, chargés de reproduire les différentes pièces dans leur corps de métier respectif : menuiserie, travail d’os, broderie ou céramique.

 

Assembler sa vie à celle des autres

« C’est un travail d’intelligence collective. Ce n’est pas une commande, on a travaillé ensemble et résolu les problèmes ensemble. Les artisans étaient souvent désabusés, il n’y avait pas de notion de travail en communauté, ce moteur a permis d’allumer une flamme. Ils ont dû accepter que c’était possible et ils en ont tiré de la fierté, c’était pour nous tous une apothéose… Le maâlem me disait qu’il avait attendu toute sa vie de réaliser enfin une œuvre qui lui permettait de mobiliser ses 70 outils au lieu des 2/3 habituels… » Un cheminement personnel, qu’en toute modestie, il partage pleinement avec ses "compagnons" : « Tout ce que j’ai fait ces dix dernières années se résume ici : réunir le continent africain et européen à égalité sans prépondérance de l’un ou l’autre. C’est une utopie ! Et le produit est cette sculpture qui pose plusieurs questions. Je n’ai pas fait grand-chose, c’est un objet métis qui concentre tout l’héritage moderne et occidental ainsi que tout l’héritage marocain : c’est fulgurant et banal en même temps… »

Fulgurant mais pas tout à fait banal comme ne l’est pas non plus Eric Van Hove qui réussit à se saisir d’une cause devenue source d’orgueil chez ces hommes qui voient tout d’un coup les 465 pièces façonnées patiemment et au millimètre pendant neuf mois s’assembler parfaitement. « C’est ça la magie sacrée du moteur, c’est que tout à coup la boucle était bouclée. Ces artisans retrouvaient une place dans l’univers de ce moteur fait pour l’élite d’un monde dont ils étaient rejetés… »

 

La mécanique du coeur

Bien sûr, ce moteur ne fera jamais rouler aucune voiture. Ce n’est pas grâce à lui que les futures voitures marocaines pourront avancer, mais comme le souligne Van Hove celui-ci est beau et « fonctionnel comme un poème », il ne s’agit pas d’un vulgaire diesel qui pollue…

Mais dans le sillage de cette aventure, se profilent également des réponses possibles charriées par le post-colonialisme et surtout le post-fordisme, car c’est une voie de réflexion qui est ici soufflée aux acteurs de ce grand secteur de l’artisanat, menacé car informel et dépourvu d’outils d’innovation : « La révolution sera formelle, l’idée va toujours plus loin que le dogme de la forme. Le monde n’est pas immuable, l’artisanat ne devrait pas l’être. Ce sont souvent des chefs de famille qui bossent comme des fous, mais qui pataugent. L’un des enjeux du projet c’est de servir de base à une réflexion cosmopolite qui permette à l’artisanat de trouver sa place dans le mode contemporain. C’est le post fordisme qui est en jeu, revenir à des unités adaptables et flexibles qui peuvent répondre à cette individualisation très en vogue où chacun est censé être unique. C’est peut-être ça l’étape suivante, comment reformuler cette forme et faire quelque chose d’utile vers la voie de la customisation (et du tunning). Il y a des ponts à établir si toutes ces personnes s’organisent… »

 

Et c’est ce que ce citoyen de cœur et de conviction fait naturellement, et sans en tirer aucune gloire qui pourtant serait légitime. Et c’est pour cela qu’autour de lui s’est agrégée toute une néo-communauté, en même temps rassurée et stimulée par le souffle qui le porte. Au cœur de la Biennale, son espace de vie–atelier est une arche de Noé dans laquelle s’abritent curateurs, artistes et artisans loin du brouhaha de Marrakech et de ses exigences.

 

[…] Retrouvez l'intégralité de cet article dans DIPTYK#22, actuellement en kiosque.

 

Eric Van Hove, « Testostérone »

Voice Gallery, Marrakech, jusqu'au 30 avril

Dans les différents espaces de la Biennale de Marrakech, jusqu'au 31 mars

Ghizlane Sahli, Métamorphose Broderie soie sur bouteilles plastiques, 2016
Ghizlane Sahli, Métamorphose Broderie soie sur bouteilles plastiques, 2016
Chaïbia Tallal (1929-2004) La Ceremonie Du Mariage, 1983 Huile sur toile Signée en bas à droite, contresignée, datée et titrée au dos 180 x 180 cm 1 200 000 / 1 300 000 DH 111 600 / 120 900 €
Chaïbia Tallal (1929-2004) La Ceremonie Du Mariage, 1983 Huile sur toile Signée en bas à droite, contresignée, datée et titrée au dos 180 x 180 cm 1 200 000 / 1 300 000 DH 111 600 / 120 900 €
Mehdi-Georges Lahlou, I used to be Nefertiti, 2014
Mehdi-Georges Lahlou, I used to be Nefertiti, 2014
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seisme maroc

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