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Kafila : Marcher, c’est créer

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La résidence nomade Kafila a invité pendant un mois douze artistes à suivre les routes caravanières, de M’hamid à Ouarzazate. Une immersion dans un processus créatif en perpétuel mouvement grâce auquel s’ébauchent des collaborations futures.

Un mot revient dans la bouche des artistes comme un défi impossible à relever : créer en marchant. Une gageure. Ils sont douze à avoir été sélectionnés par l’Institut Français du Maroc pour la résidence culturelle et scientifique Kafila, sur la trace des anciennes routes caravanières du sud marocain.

Tous sont porteurs d’un projet de départ dont ils pressentent bien qu’il évoluera en cours de parcours. Le photographe Paul Rousteau ambitionne de capturer des mirages ou de les créer de toutes pièces en plaçant devant son objectif des miroirs déformants ou de simples gazes colorées, dans la pure tradition de la photographie expérimentale. Le plasticien Mohamed Noujmi entend collecter les matériaux emblématiques de la culture nomade, à l’instar de la poétesse Anda Mondès qui se définit comme une « autrice nomade ».

Tous ont en ligne de mire les richesses, qui leur sont le plus souvent méconnues, du patrimoine matériel et immatériel de la vallée du Drâa dont ils espèrent qu’elles viendront nourrir leur pratique respective. Seul participant originaire de la région, l’artiste pluridisciplinaire Othmane Ouallal entend documenter les jeux d’enfant à travers des captations photographiques et sonores qui donneront lieu à de futures installations.

Un mot revient dans la bouche des artistes comme un défi impossible à relever : créer en marchant. crédit photo : Jean-Pierre Datcharry

Une mémoire nomade

Collecter des traces, des empreintes. Tel est peu ou prou le point de départ de chaque aventure personnelle qui voit la plasticienne Anna Rinzo, intéressée par la problématique de la mémoire cellulaire et de l’épigénétique, glaner des fils de laine de chameau ou des épines d’acacia afin de tisser la mémoire du parcours. « Le tissage, explique-t-elle, est toujours une retranscription d’histoires ».

Houda Kabbaj, adepte de la photographie argentique, emporte dans ses bagages plusieurs rouleaux de papier calque sur lesquels sera conservée la trace des végétaux, des minéraux ou des nombreuses gravures rupestres rencontrées au cours du périple, à l’aide d’une technique de frottage sur pierre qu’elle utilise pour la première fois. Assimilés par elle à des « parchemins » qui constituent « un alphabet des textures et des silhouettes », ces rouleaux sont autant de négatifs à partir desquels seront peut-être réalisés de futurs tirages.

La contrainte de la marche – au-delà de l’endurance requise dont s’est amusée, lors de la soirée de restitution à la Kasbah Taourirt de Ouarzazate, la dessinatrice coréenne Kim Ji Sun, enseignant la sculpture aux Beaux-Arts de Tétouan –, oblige chacun à sortir de sa zone de confort. Melody Boulissière, réalisatrice d’animation, a ainsi vu son trait gagner en rapidité et en souplesse. « J’ai retrouvé le plaisir du dessin pur et dur », confie-t-elle, en nous montrant les 300 croquis réalisés le temps de l’itinérance.

crédit photo : Jean-Pierre Datcharry

Une quête métaphysique

L’expérience du voyage vient aussi bousculer les pratiques, autorisant toute forme d’expérimentation. La plasticienne Hanane El Farissi place sa recherche et sa collecte de matériaux sous le signe de l’alchimie, à l’instar de Mathias Mareschal,« peintre sans outil »,  qui, au cours de la caravane, a proposé des interventions in situ. Le plasticien a ainsi imprégné d’oxydes préalablement collectés certaines roches du paysage et a laissé advenir la couleur. La rencontre avec Guillaume Lepoix, spécialiste de photogrammétrie, donnera lieu à une collaboration future dans laquelle les œuvres du peintre seront scannées en 3D afin de produire de nouvelles formes et couleurs.

Au final, si métamorphose il y a, c’est bien de soi qu’il s’agit comme le résume la performeuse Jenny Abouav qui a cherché à « incorporer tous les sols traversés » afin de « se transformer en vent, en pierre ou en vide », comme si l’aventure plastique et visuelle se résumait aussi à une quête intérieure, un brin métaphysique. La magie du désert où la solitude de chacun se nourrit de la découverte des autres ou de la richesse du territoire traversé.

Olivier Rachet

Anna Rinzo glane des fils de laine de chameau ou des épines d’acacia afin de tisser la mémoire du parcours. crédit photo : Jean-Pierre Datcharry
Houda Kabbaj, adepte de la photographie argentique, emporte dans ses bagages plusieurs rouleaux de papier calque sur lesquels sera conservée la trace des végétaux, des minéraux ou des nombreuses gravures rupestres rencontrées au cours du périple - crédit photo : Houda Kabbaj
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