Taper pour chercher

CE SOIR: VERNISSAGE DE LA DIVINE COMEDIE

Partager

L'Afrique force la porte de la Divine Comédie

 

Simon Njami nous a accordé en octobre dernier un entretien exclusif à Marrakech à son image : sans concession. Alors qu’il s’apprête à faire tourner dans les plus grands musées du monde sa réinterprétation de la Divine Comédie, il prêche loin des modèles occidentaux le salut d’une Afrique actrice de son propre destin.

 

par Syham Weigant

 

 

Pourquoi aborder le thème de la Divine Comédie ?

Je trouve que c’est un texte amusant. Dante l’a écrit au Moyen-âge alors qu’on nous le présente comme un texte universel. La chose la plus amusante est qu’il existe un coin en enfer qu’on appelle le Limbe des patriarches, une espèce de « quartier V.I.P. » : belle température, belle lumière… On se demande pourquoi, on y trouve Aristote, Socrate, les grands penseurs. Lorsque Dante demande à Virgile ce qu’ils font là, il répond : « Ceux-là n’ont pas cru en Dieu ». On y retrouve Averroès et Avicenne, mais on oublie que ce sont des Arabes. Ils ont leur carte de séjour, ils sont intégrés, tout va bien… On y retrouve aussi Saladin, alors qu’au pire endroit de L’Enfer de Dante se trouve Mahomet. Cette contradiction paraît intéressante car Saladin était un guerrier de Mahomet. Mais l’un se trouve parmi les élus et l’autre au milieu du pire. Dans un ethnocentrisme intéressant, que l’on peut pardonner à Dante car c’est le Moyen-âge mais qui perdure cependant, Saladin se retrouve là parce que lorsqu’il a reconquis Jérusalem – contrairement aux Croisés qui massacraient et pillaient – il a déclaré aux Chrétiens qu’ils pouvaient rester. C’était un Juste et c’est pour cela qu’il est dans ce Limbe. Ce qui est intrigant c’est que mes cousins arabes étaient là, même sans nationalité, mais mes cousins nègres n’existent pas dans ce livre. Voici l’idée de départ : concevoir une exposition où tous ceux qui ne sont pas dans la Divine Comédie ou qui y sont d’une manière louche, vont se la réapproprier et la raconter à leur manière.

 

Comment les artistes ont-ils accueilli cette proposition ?

Avec beaucoup d’épouvante car certains n’avaient pas lu le livre. Je leur répondais : « Tu as bien une idée du purgatoire ou du paradis ? Toi tu irais où ? » Plus tard, ils recevaient une lettre de mon assistante leur spécifiant leur emplacement. Généralement, ils me rappelaient en me disant : « Mais Simon, on discutait, tu ne m’as pas dit que c’était pour une expo ! » C’est ce que je voulais, qu’ils expriment quelque chose de très personnel, et qui reflète leurs idées sur le paradis, l’enfer et le purgatoire. Sartre disait que « l’enfer, c’est les autres ». Certains peuvent penser l’inverse. Ce sont des notions profanes et personnelles, détachées de toute idéologie religieuse.

 

La scénographie respecte-t-elle cette répartition ?

Il y a trois mondes, comme chez Dante. Et comme j’aime faire les choses à l’envers, on commence par « Le Paradis », l’étage ultime étant « L’Enfer »…

 

Etonnant, quand il est communément admis que l’on tombe du paradis…

Vous voyez, vous dites « on », « nous »… Moi j’ai décidé que l’on pouvait tomber de l’enfer. Parce que si vous regardez l’histoire du paradis, Lucifer, le porteur de Lumière, fait la révolution car il comprend vite qu’il y a quelque chose de pourri dans ce royaume. Malheureusement, l’adversaire est plus costaud et Lucifer crée un autre royaume. Mais je considère sa chute comme une chute ascensionnelle : même la physique nous explique que la chute n’est pas une chute. Cela m’amuse de casser toutes ces notions. J’aime la terre et les humains plutôt que les nuages. J’aime les cieux dégagés, et je ne voudrais pas vivre là-haut. Boris Vian dans sa chanson On n’est pas là pour se faire engueuler, conclut : « Portez-vous bien, mais nous on se barre, et alors on est descendu chez Satan, et en bas c’était épatant, ce qui prouve qu’en protestant, on finit par obtenir des ménagements. » Moi je crois comme Boris qu’en bas c’est épatant, et qu’en haut ça doit être ennuyeux…

 

Dans l’exposition, s’agit-il de trois mondes étanches ou des passerelles permettent-elles de passer de l’un à l’autre ?

Ce sont trois mondes distincts mais des passerelles y mènent. C’est une polyphonie, et une polysémie entre les œuvres. A chaque fois que je conçois une exposition, je voudrais que les gens qui ont des définitions n’en soient plus si sûrs en sortant…

 

Comment se répartissent les 54 artistes sélectionnés ?

Il y aura 21 artistes par secteur plus un joker. Dans « Le Paradis » se trouveront Jane Alexander et Christine Dixie, en raison du travail qu’elles montrent. Il y aura aussi Amal Kenawy, Youssef Nabil, Ghada Amer et une photo de Guy Tillim. Au « Purgatoire » il y aura Dimitri Fagbohoum, Yinka Shonibare, Frances Goodman et Kudzanai Chiurai, un jeune artiste zimbabwéen. En « Enfer » il y aura Bili Bidjocka, Wim Botha, Fernando Alvim. Et pour le Maroc, il y aura Lamia Naji et Majida Khattari, toutes deux au « Paradis ».

 

S’agit-il d’œuvres produites pour l’occasion ?

Ce sont à 80% des œuvres inédites, dont un bon nombre a été produit pour l’exposition.

 

Quelles sont les « stations » prévues de cette exposition itinérante ?

Ah les stations, après le chemin de croix… Ca commence en Allemagne, ça va aller aux Etats-Unis, en Italie, ça doit aller au Japon, en Angleterre, en Espagne. Ca doit aller au Zimbabwe et en Angola pour l’instant. Et quand les pays arabes auront le désir et les moyens, ça ira avec plaisir…

 

Quel est votre constat sur l’état des lieux de la scène africaine ?

J’ai le sentiment que sur le continent, on reste sur des initiatives toujours individuelles. D’ailleurs vous pouvez mettre Diptyk dans ce cadre-là… Ce sont encore des individus qui font bouger les choses. Au niveau des autorités, il y a beaucoup de flonflons, de grands discours mais sans fond. S’il y avait un jour un grand musée de la photo, ce ne serait pas du fait de l’Etat. Or dieu sait qu’on me rebat les oreilles depuis longtemps sur un projet de l’Etat, ça ne se fait pas… Je pense qu’il y a un grand danger qu’il se produise avec l’art contemporain africain ce qui s’est passé avec l’art classique africain. Ce que nous avons d’ailleurs vu s’illustrer ici (cet entretien a eu lieu dans le cadre du lancement du MMP+, futur musée de la photographie à Marrakech, ndlr). C’est-à-dire que les plus beaux trésors de l’Egypte se retrouvent au Louvre. Comme nous sommes crétins, et que nous avons besoin du blanc-seing de quelqu’un d’autre pour réaliser ce que nous avons, le temps que nous le réalisions, il n’y en aura plus… Les Mohamed El Baz seront au chaud au MOMA, à la Tate ou à Beaubourg, et on sera encore là à pleurer… Aux temps de la colonisation, quand ils venaient négocier avec un flingue sur la tempe, on comprend que vous cédiez. Ce qui continue à m’agacer c’est l’absence de bien commun, de notions de communauté. Je pense que les dirigeants de l’Afrique manquent de fierté et se comportent comme des valets. Je suis fier et je décide que c’est moi qui vais décider de la qualité des choses. Je ne vais pas attendre que quelqu’un décide pour moi. Si on veut qu’un jour les gens arrêtent de pleurer, de voyager, il faut créer en Afrique des centres de reconnaissance, et il ne s’agit pas seulement de construire des musées… Mais plutôt des gens capables d’écrire, de voir et d’imposer un jugement. J’aimerais qu’un jour un Marocain dise que cet artiste est bon et que cela influe sur son prix chez Sotheby’s. Il faut un plan de bataille d’ensemble, et ce plan je ne le vois pas.

(…) Retrouvez l'intégralité de cet entretien dans DIPTYK#22, actuellement en kiosque

 

Pavé info :

« The Divine Comedy », curateur Simon Njami

MMK, Francfort

du 21 mars au 27 juillet 2014

Paul Sika, L'Appel de Lilian 1, 2012, Courtesy Paul Sika et Galerie Cecile Fakhoury
Paul Sika, L'Appel de Lilian 1, 2012, Courtesy Paul Sika et Galerie Cecile Fakhoury
Article précédent
x
seisme maroc

La rédaction de diptyk se joint aux nombreuses voix endolories pour présenter toutes ses condoléances aux familles des victimes du séisme qui a frappé notre pays.

Nos pensées les accompagnent dans cette terrible épreuve.

Comme tout geste compte, voici une sélection d'associations ou d'initiatives auxquelles vous pouvez apporter votre soutien :