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[ COP22 ] L’AFRIQUE À L’ÉPREUVE DE LA PLANÈTE

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MACAAL, un musée d'art contemporain africain. Si vous ne l'avez pas encore visité, le musée d’art contemporain africain, situé dans le complexe Al Maaden à Marrakech, a inauguré ses murs avec l'exposition "Essentiel Paysage", un choix de Brahim Alaoui qui montre un Afrique à l'épreuve de la planète.

 

La COP22 à Marrakech, c’est un coup de projecteur sans précédent sur le potentiel de développement durable de l’Afrique, mais aussi sur ses artistes. De plus en plus présents sur la scène internationale, ils sont cet automne sous les yeux du monde entier grâce à l’exposition « Essentiel Paysage » organisée à Marrakech par la Fondation Alliances. Une manifestation qui se veut à la fois grandiose et militante, curatée par le commissaire Brahim Alaoui sur le modèle de l’insurrection des consciences prônée par Pierre Rabhi, le célèbre paysan et activiste écologiste originaire du Sahara. La Fondation Alliances entend ainsi proposer « une alternative créative aux discours scientifiques complexes, des images puissantes pour sensibiliser au réchauffement climatique, à la surexploitation des ressources naturelles, aux dangers du consumérisme etc. », explique Meriem Berrada, chargée de projet pour l’action culturelle.


Accueillies dans l’écrin de verdure d’Al Maaden et de son parc de sculptures, 80 œuvres de 30 artistes africains de tout le continent sont présentées sur 700 m2, mises en espace par le scénographe Jean-François Baudin qui a travaillé pour les plus grands musées de France et du Qatar. La majeure partie des œuvres étant issues de la collection de la Fondation Alliances, « Essentiel Paysage » donne une petite idée de ce que sera le futur MACAAL (Musée d’art contemporain africain Al Maaden). « Avec la collection de la Fondation pour noyau dur, les futurs projets d’exposition feront appel au réseau de partenaires que le MACAAL développe depuis maintenant trois ans. En avril 2017, nous présenterons une exposition monographique qui fera sans doute date, avant d’organiser une manifestation dédiée à la photographie africaine », précise Meriem Berrada.


Empruntant le titre de l’exposition à l’œuvre poétique d’Aimé Césaire, « probablement le poète africain le plus enraciné dans la nature », Brahim Alaoui entend rappeler que « la nature occupe une place centrale dans la production artistique et littéraire contemporaine africaine ». Il s’agit surtout de « réfuter le préjugé tenace selon lequel il y aurait deux Afriques, une «Afrique blanche» et une «Afrique noire» qui seraient séparées par le Sahara, perçu comme une mer intérieure faisant obstacle à la circulation des hommes et des idées ». Ainsi les stars de l’art contemporain africain comme Barthélémy Toguo, Sami Baloji ou Romulad Azoumé flirtent avec les Marocains Najia Mehadji, Khalil Nemmaoui, Mourabati, sans oublier les Algériens Zineb Sedira ou Yazid Oulab. Convoquant Léopold Sédar Senghor et Frantz Fanon, grands penseurs des indépendances dans les années 50, Brahim Alaoui rappelle que l’Afrique désirait alors jouer un rôle dans l’établissement d’une modernité « plurielle » en phase avec l’Homme et la Terre. Qu’en est-il aujourd’hui ?


Des artistes engagés

 

Il n’existe pas d’« art écologique » à proprement parler, comme le note judicieusement Paul Ardenne dans le catalogue d’exposition. Et Brahim Alaoui reste lucide : « La contribution des artistes est importante. Elle ne va pas changer le monde, mais elle peut être une approche sensible qui rejoint les approches de la société civile ou des scientifiques, pour participer à l’émergence d’une conscience écologique ». Le photographe Fabrice Monteiro livre probablement le manifeste le plus percutant avec sa série Prophecy (2014). Détournant les codes esthétiques de la photo de mode, il met en scène une puissante prêtresse vaudou dressée sur une colline de déchets qui colonisent jusqu’à sa robe, jetant au feu une poupée désarticulée : une mise en garde à la fois fascinante et menaçante. Loin de son aspect humoristique, l’utilisation d’objets de récupération (marque de fabrique de bon nombre d’artistes africains) est ici envisagée avec gravité pour clamer que l’Afrique est littéralement devenue « la poubelle du monde ». Pascale Marthine Tayou enfonce le clou avec son installation Plastic Tree (2014), une longue faille où le spectateur est pris en otage dans une forêt de sacs plastiques pris dans les branches d’arbres décharnés. Tandis que les trônes de guerre de GonçaloMabundaentièrement composés d’armes récupérées après la guerre civile au Mozambique, font froid dans le dos. « La construction de ces trônes, qui symbolisent le pouvoir tribal et l’histoire traditionnelle des ethnies africaines, est aussi pour l’artiste une manière d’affirmer le pouvoir de transformation et de résistance de l’art », précise Brahim Alaoui.


Une nature spirituelle…
 

En Afrique, la nature est chargée de symbolisme, qu’il soit animiste ou religieux. Les esprits de la forêt et le Jardin d’Éden peuplent l’imaginaire des artistes. Le Congolais Pierre Bodo, pasteur pentecôtiste, fait la jonction entre foi monothéiste et païenne. Engagé en faveur de l’éducation et contre la sorcellerie, Bodo parsème ses toiles de monstres et d’animaux dotés de pouvoirs magiques, combattus par la force rédemptrice de l’évangile. Au contraire, d’autres artistes africains nourrissent leur imaginaire à la source des croyances locales, comme l’Éthiopien Gera, à la fois théologien de l’Église orthodoxe et chamane traditionnel. Dans ses Talismans, des toiles aux motifs empruntés à la symbolique locale, il livre une interprétation d’un monde invisible à l’œil nu, où la peinture « regarde » le spectateur. On bien encore le célèbre musicien et peintre d’Essaouira Mohamed Tabal qui crée en état de transe selon le rituel gnaoua : « Je tiens le pinceau d’une main ferme, tandis que ma tête s’envole », raconte-t-il. Plus contemporain, le travail de Younès Rahmoun convoque autant la spiritualité soufie que la culture zen. Son collage monumental Nakhla Sora (« palmier image ») recouvre des images et écritures occidentales (cartes postales et flyers en tout genre) par le motif du palmier stylisé issu de l’art musulman traditionnel. Parfaitement symétrique, il peut se lire dans le détail comme dans son ensemble, pour « donner à voir les choses invisibles et intangibles comme la foi, l’âme, l’esprit, l’éveil etc. »
 

…ou plus scientifique 


L’appréhension de la nature, c’est aussi celle de la science. Dans ce domaine, les artistes marocains ont la part belle. Depuis les prémices de l’art abstrait ils intellectualisent la nature, toujours à la lisière de l’abstraction. Le pionnier dans ce domaine est probablement Mohamed Melehi. Son motif récurrent de l’onde, qui peut symboliser l’élément liquide autant qu’un arbre ou une flamme, fait vibrer ses toiles pour pousser toujours plus loin « l’œuvre vers le concept » (lire aussi p.48). Yamou, dans son atelier-laboratoire, fait naître des germinations où se déploient des formes organiques, cellulaires, cosmiques. D’autres artistes plus contemporains poursuivent cette approche intellectualisée, mais aussi sensorielle, en convoquant des formes et supports parfois déroutants. Hicham Berrada, « le petit chimiste » de l’art contemporain marocain, crée des écosystèmes à part entière où il « peint » littéralement à l’aide d’expériences physiques et chimiques. Voulant « photographier le temps qui passe », Mustapha Azeroual utilise quant à lui des procédés photographiques anciens pour mieux les propulser dans un format contemporain. Son Arbre est une installation mouvante composée de 200 plaques de porcelaine sur lesquelles sont tirées à la gomme bichromatée les multiples vues d’un même sujet. Le motif végétal se laisse ainsi découvrir par le spectateur dans la durée, le conduisant « à reconstruire un arbre-souvenir. »

 

Volontairement placée dans la lignée des grandes manifestations qui ont fondé l’art africain, l’exposition de la Fondation Alliances retrace avec beaucoup de finesse une chronologie de l’art du continent. Outre la crème de la peinture congolaise déjà mise à l’honneur par la Fondation Cartier à Paris l’an dernier, Brahim Alaoui fait resurgir des artistes plus anciens qui ont marqué l’histoire de l’art. On y retrouve des tenants de l’art dit « naïf » comme Mohamed Ben Allal qui a débuté dans les années 40 alors qu’il était le cuisinier du peintre Jacques Azéma. Ses petites gouaches aux couleurs vives racontent des scènes de vie de Marrakech, sa ville natale, avec une nostalgie tranquille qui les fige à jamais hors du temps. Mais l’on retient surtout le destin extraordinaire de l’Algérienne Mahieddine Baya, que l’on a rarement pu voir au Maroc, avec une toile issue d’une collection privée. Jeune orpheline, elle est repérée à l’âge de treize ans par le célèbre galeriste Aimé Maeght qui l’expose à Paris en 1947. Ses œuvres sont de petits bijoux d’onirisme, dont l’œil se délecte de chaque détail. Un même motif revient incessamment : elle-même. Une figure féminine brune, aux longs yeux noirs, parée de végétaux et d’animaux entremêlés. « Ma peinture est le reflet, non du monde extérieur, mais de mon monde à moi, celui de l’intérieur ». Plus qu’une nature rêvée, c’est sa nature profonde que Baya représente, à l’image de l’Afrique qui se révèle tout entière dans cette exposition.

 

 


Un article de Marie Moignard

Peinture (Erutniep), 2005, performance
Peinture (Erutniep), 2005, performance
Erotic cuttings, découpage, pages de magazines, 2013. Copyright de l'artiste
Erotic cuttings, découpage, pages de magazines, 2013. Copyright de l'artiste
Farid Belkahia, Transcendance, 1976-1977, cuivre et peau, 187 x 155 cm Collection privée
Farid Belkahia, Transcendance, 1976-1977, cuivre et peau, 187 x 155 cm Collection privée
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seisme maroc

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