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Entretien avec Mounir Fatmi « La censure fonctionne comme un virus » 

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L’artiste aux œuvres polémiques signe un livre-conversation avec le philosophe Ariel Kyrou, dans lequel ils dissèquent la notion de blasphème.
Dans Ceci n’est pas un blasphème,sorti en mai aux éditions Inculte, le philosophe Ariel Kyrou et l’artiste Mounir Fatmi auscultent, en une longue et vive conversation, la notion de blasphème sous toutes ses coutures : dans les territoires de l’art contemporain, de la création et de la parole publique, à l’ère des images, du net, des marques, des techno-sciences, de l’hyper-capitalisme et de l’obscurantisme religieux. Censure, autocensure, atteintes à la liberté d’expression sont passées au crible de l’intelligence d’un dialogue qui aura duré plus de deux ans. Rencontre avec Mounir Fatmi, le combattant.

De quoi ce livre est-il né ?
D’une discussion avec Ariel Kyrou dans le train, suite aux diverses censures dont j’ai été victime en France. Au début, je ne voulais pas en parler, je n’avais pas envie d’entendre que je l’avais bien cherché. La censure ne sévit pas que dans les pays arabes, mais en France, aux États-Unis, en Europe.  Pour beaucoup, on ne doit toucher ni au corps, ni à la République, ni aux livres saints, ni aux symboles. Il y a aujourd’hui le besoin d’un retour aux racines, d’une appartenance à son quartier, sa ville, son pays, son drapeau, sa religion, sa marque fétichemême. Ne pas toucher aux idéologies est confortable. Mais sans questionnements, on penserait encore que la Terre est plate !

L’image est-elle un spectacle ?
L’information par le prisme des médias est un spectacle. On ne la cherche plus, on la met en scène, on la scénarise. On l’a vu après les attentats du 7 janvier à Paris. Qui était ou non Charlie est devenu un slogan, un flash concept. On ne peut pas s’accrocher à des concepts qui ont une vie et une mort si rapides. Il faut traiter les images comme des spectacles, des flashspectacles qui ne sont ni des vérités ni des preuves, mais qui sont interprétables, polysémiques. Tout est spectacle aujourd’hui. Et je prends la religion comme le plus grand d’entre eux. 

Qu’est-ce qui est sacré pour vous ?
Dans mon travail, le sacré est autant sujet à expérimentation que le profane. Il n’y a presque plus de frontières entre ces deux notions. La poésie est sacrée. L’homme est sacré, comme projet de lui-même et non comme projet de Dieu. La démocratie, la liberté d’expression ont aussi pour moi une certaine sacralité. Elles sont les bases pour construire. Elles sont des chemins et non des vaccins que l’on apporte de l’extérieur. Si la jeunesse démocrate arabe veut la liberté d’expression, elle doit se battre. On ne peut pas priver les populations de ce combat.

Selon vous, pourquoi êtes-vous de plus en plus censuré en France ?
Il y a une fébrilité, une peur. Les œuvres se transforment avec l’histoire, l’actualité, la société. La plupart de mes pièces censurées ne posaient pas de problème il y a trois ou quatre ans. Les commissaires appréhendent aujourd’hui mon travail avec cette étiquette « censure » collée sur mon front et ça change leur regard. Je crois aussi que les centres d’art, les musées n’ont jamais été pensés en France comme des lieux politiques, des terrains de combat. L’idée même d’un art politique était jusqu’à peu péjorative. Il fallait produire des pièces qui brillent, lisses, un art du dance floor.

Très récemment, Robert Bonnacorsi, directeur de la Villa Tamaris (Var), a invoquéle principe de précaution en retirant de l’exposition « C’est la nuit », votre vidéo Sleep Al Naim, dans laquelle on voit dormir Salman Rushdie…
C’est la censure la plus dure, la plus perverse puisqu’elle est préventive. C’est une défaite sans combat. Le directeur du lieu a censuré une œuvre pour éviter un scandale imaginaire. C’est un danger pour la démocratie et pour le public qui se retrouve privé des questionnements sur la réalité du monde. Une fatwa a été lancée par les islamistes contre Salman Rushdie. Sa tête est mise à prix pour 3 millions de dollars. On ne peut plus nier le réel. Avant, j’arrivais à montrer un travail pendant 48 heures, à inscrire le baromètre de l’art dans la société, à débattre. Sleep Al Naima été exposé au Mamco de Genève en mai sans aucun remous. La différence entre le Mamco et la Villa Tamaris, c’est la décision de deux commissaires. L’un a décidé de défendre la liberté d’expression, l’autre non.

Comment se battre contre ce type de censure ?
Par la solidarité. Claude Lévêque a quitté l’exposition quand il a su. On se bat en résistant. La liberté d’expression est pour moi non négociable. La création est déjà une forme de résistance, l’exposition en devient une également. Négocier les œuvres dans les centres d’art fait aujourd’hui partie du combat. Les musées sont des champs de bataille. Les attentats au musée du Bardo en Tunisie le prouvent. Aller dans un musée est devenu un acte politique. Ceux qui pensent que l’art n’est pas politique, que les musées n’offrent que spectacle et entertainment, vont vite se faire rattraper par la réalité. (…)

Mounir fatmi, Ariel Kyrou 
Ceci n’est pas un blasphème, la trahison des images, Ed. Inculte / Dernière marge, 2015, 18,90 euros.

Propos recueillis par Julie Estève 


Vous pouvez lire la suite de cet article dans le Diptyk magazine numéro #29

Mounir Fatmi, History Is Not Mine, 2013, vidéo 5’ (Maroc)
Mounir Fatmi, History Is Not Mine, 2013, vidéo 5’ (Maroc)
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