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La Biennale de Venise se recentre sur le Sud

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La 60ème édition de la Biennale de Venise, intitulée par son commissaire brésilien Adriano Pedrosa, « Stranieri ovunque – Foreigners everywhere » tient ses promesses, au prix parfois de quelques raccourcis. 

Premier commissaire brésilien de la Biennale, le curateur Adriano Pedrosa s’était fixé une feuille de route très claire : redonner de la visibilité aux artistes du Sud global et aux différentes minorités invisibilisées, notamment queer.

Les deux expositions générales « Storico nucleo » aux Giardini et « Storico contemporaneo » à l’Arsenal comportent leur lot de découvertes : ainsi de l’artiste suisse Aloïse Corbaz (1886-1964) qui passa une partie de sa vie en hôpital psychiatrique et fut admirée aussi bien des surréalistes que des fondateurs de l’art brut. Ses toiles mettant en scène essentiellement des figures féminines, aux aplats de couleurs vives, brillent par une féérie mâtinée d’un érotisme sourd. De leur côté, les artistes sud-américains et notamment brésiliens se taillent souvent la part du lion, à l’image du peintre chamane André Taniki Yanomami (né en 1949), entré dans les collections d’art brut de la Fondation Cartier.

Yinka Shonibare, Foreig :ners Everywhere. Photo Marco Zorzanello (Biennale de Venise 2024)

Abstractions du Sud

Mais le clou de la programmation concerne sans doute la partie consacrée aux abstractions du Sud élaborée autour d’une installation de totems colorés du Brésilien Ione Saldanha réalisés à partir de bambous. Quelques peintres de l’École de Casablanca, tels que Melehi, Chabaâ ou Hamidi, côtoient leurs contemporains d’Amérique du Sud, dans une « abstraction qui se détache, selon le commissaire, de la tradition géométrique abstraite constructiviste européenne, avec sa grille orthogonale rigide de verticales et d’horizontales et sa palette de couleurs primaires, pour privilégier des formes plus organiques et curvilignes ».

Le rapprochement entre deux œuvres réalisées conjointement en 1968 par Melehi, Composition, et la peintre argentine María Martorell, Ekho Dos, est séduisante mais omet peut-être que ces deux artistes puisèrent alors leur inspiration, l’un aux États-Unis auprès des représentants du Hard edge, et l’autre auprès des artistes parisiens qu’elle put côtoyer. Décentrer l’histoire de l’art est louable, mais ne peut pas s’écrire seulement du point de vue des marges.

Vue de l'installation The Mapping Journey Project de Bouchra Khalili à la Biennale de Venise 2024 Exposition internationale « Stranieri Ovunque ». Photo : Marco Zorzanello.

Point fort de la section « Nucleo contemporaneo » qui comprend en abondance des œuvres aux motifs géométriques brodés et conçus avec des teintes naturelles de l’argentine Claudia Alarcón, une salle entière de l’Arsenal est consacrée à l’artiste franco-marocaine Bouchra Khalili et nous fait oublier les errements du pavillon marocain finalement annulé. Bien connues, ses deux séries The Constellations Series et The Mapping Journey Project , réalisées entre 2008 et 2011 autour des migrations, restent d’une brûlante actualité.

Actualité qui se rappelle aussi aux organisateurs à travers la décision de l’artiste israélienne Ruth Patir de ne pas inaugurer son pavillon, en l’absence d’un cessez-le-feu à Gaza et d’une libération des otages israéliens. Étrangement, il fut impossible de visiter le pavillon iranien dont la fermeture semble répondre à des raisons de sécurité.

Vue de l'exposition « Your Ghosts Are Mine », ACP–Palazzo Franchetti. Photo David Levene. Courtesy Qatar Museums.

Visibilité accrue pour les pays du MENA

Sans doute est-ce l’une des expositions en off de la Biennale parmi les plus ambitieuses. Sous l’égide de Matthieu Orléan, commissaire d’exposition à la Cinémathèque de Paris, l’exposition « Your Ghosts are Mine : Expanded cinemas, amplified voices », située Palazzo Cavalli, face à la Gallerie dell’Accademia, propose un parcours d’extraits de films produits ou initiés par le Doha Film Institut et des installations vidéo en provenance des collections du Mathaf des plus remarquables. Le spectateur traverse un monde en proie à la violence, ponctué en permanence par des touches d’humanité qui culminent dans l’extrait final mettant en scène, dans la vidéo de l’égyptien Hassan Khan, Jewel, deux hommes esquissant un pas de danse sur une musique aux accents shaabi.

Du côté des pavillons nationaux, ceux de l’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis tirent, avec brio, leur épingle du jeu. L’artiste saoudienne Manal AlDowayan propose dans l’exposition « Shifting Sands : A Battle Song » une installation monumentale réalisée à partir de papier de soie sur laquelle s’écrivent, sous la forme d’une rose du désert, les rêves et les espoirs de femmes dont les voix forment un chœur apaisant. Le pavillon émirati consacré aux œuvres d’Abdullah Al Saadi propose une médiation jubilatoire assurée par deux comédiens commentant le travail de l’artiste, avec une rare conviction.

Vue du pavillon éthiopien - biennale de Venise 2024. Photo : diptyk magazine.

Pavillons africains : le parcours du combattant

Passés de 7 en 2017 à 9 en 2019, les pavillons africains étaient cette année en augmentation, au nombre de 12, mais avec quelques couacs. Annoncé dans la programmation officielle, le pavillon kenyan était introuvable. Celui de la République Démocratique du Congo est resté porte close, en dépit apparemment de la présence des artistes.

D’autres étaient difficiles à trouver en raison parfois d’une signalisation défaillante, ce qui n’est pas le cas du pavillon éthiopien au Palazzo Bollani montrant les toiles à l’expressionnisme assagi de Tesfaye Urgessa, privilégiant des scènes d’intérieur aux couleurs ocres. Mal indiqué car situé à l’étage d’un bâtiment, le pavillon du Zimbabwe vaut lui aussi le détour, notamment pour les œuvres de Moffat Takadiwa réalisées à partir d’objets recyclés formant des installations pointillistes.

Vue du pavillon du Nigéria - Biennale du Venise 2024. Photo : diptyk magazine.

Le nerf de la guerre restant le coût du pavillon, estimé à environ 300 000 euros, plusieurs privilégient des partenariats publics-privés à l’image du Cameroun ou du Sénégal dont la première participation avec l’artiste Alioune Diagne nous a laissés sur notre faim. Curaté par des commissaires d’exposition italiens, le pavillon camerounais bénéficie de son côté d’un soutien financier de galeries privées. Prenant place dans le somptueux Palazzo Donà dalle Rose face à l’île de Murano, l’exposition « Nemo Propheta In Patria » constitue, selon le peintre Hako Hankson, « une réelle opportunité de rencontrer collectionneurs privés et un public féru d’art contemporain ».

De très grande tenue, les pavillons du Bénin et du Nigéria entrent dans une stratégie de soft power à plus long terme, comme en témoigne la maquette du futur musée de Bénin City (Museum of West African Art) à l’ouverture du pavillon nigérian. Mention spéciale pour l’installation de Yinka Shonibare, Monument to restitution for the mind and soul – sans doute l’une des œuvres les plus fortes de cette édition –, prenant la forme d’un temple rassemblant des artefacts d’objets pillés lors d’une expédition coloniale au Bénin et posant avec une acuité rare la question du statut de ces mêmes objets. Il reste encore des étapes à parcourir pour rééquilibrer les participations nationales au profit des pays du Global South, et singulièrement de l’Afrique, mais cette 60ème édition restera sans doute une étape forte dont on aimerait que soit tiré profit.

Olivier Rachet

Biennale de Venise, jusqu’au 24 novembre 2024, Venise.

Crédit photo de la Une : Matteo De Mayda

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