L’ART AFRICAIN SORT DU BOIS

A la fois proche et lointaine, l’Afrique demeure un sujet de fascination, de fantasmes, de répulsion », écrivait Simon Njami dans son texte au catalogue de l’exposition « Africa Remix » en 2005 au Centre Pompidou. Comme pour les créations d’autres pays dits « émergents », l’art africain contemporain aura connu diverses fortunes critiques avant de rencontrer les faveurs du public. Et surtout, celles des amateurs. En 1989, l’exposition emblématique à Beaubourg des « Magiciens de la Terre » réalisée par Jean-Hubert Martin avait été fraîchement accueillie par la critique. Bien qu’elle refusât l’ethnocentrisme occidental, l’événement suscita maintes controverses. Qu’on s’en souvienne, certains experts lui reprochèrent à l’époque d’avoir trop tiré sur la corde primitiviste, entre néo-folklore et post-colonialisme.

Les grandes galeries s’y intéressent

Conseiller et curateur indépendant, André Magnin initia ses recherches sur l’art contemporain dans les cultures extra-occidentales, plus spécialement en Afrique subsaharienne, à cette occasion. Par la suite, il constitua l’importante Pigozzi Collection aujourd’hui riche de 12 000 pièces. « Depuis 1990, celle-ci a prêté à quelque 320 musées dans le monde entier, pour environ 40 expositions collectives et 30 monographiques », déclare-t-il non sans fierté. Un travail de longue haleine qui a permis à l’art africain contemporain d’apparaître sur le devant de la scène, comme à divers collectionneurs de découvrir ces artistes africains aujourd’hui représentés par de grandes galeries dans les foires internationales.

Malgré tout, la présence d’œuvres d’artistes africains sur le marché reste timide, voire discrète, pour ne pas dire insignifiante. Depuis la dispersion d’un pan de la collection Pigozzi chez Sotheby’s en 1999, plus que rares furent en vérité les chances d’acquérir ce type d’œuvres près des auctioneers. En juin 2005, la maison de ventes Calmels-Cohen cédait bien à Paris plusieurs pièces appartenant au marchand Jean-Marc Patras. Lors de cette vacation, une toile de Cheri Samba fut adjugée près de 39 000 €. Apparentées à des fables de la société moderne, les œuvres teintées d’humour du peintre zaïrois se négocient aujourd’hui de 50 000 à 100 000 €. A Bruxelles, fin avril, c’est Pierre Bergé & Associés qui met à l’encan la collection d’art contemporain du footballeur Jonathan Zebina de la Juventus de Turin. Véritable autodidacte, ce dernier s’est intéressé à l’art contemporain africain, en visitant « Arts of Africa » présentée en 2005 au Grimaldi Forum de Monaco autour de la fameuse collection Pigozzi. Comprenant diverses œuvres d’artistes aussi reconnus qu’Arman, Julian Schnabel, Mimmo Rotella, comme une grande sculpture de Giorgio de Chirico, l’ensemble réunit à la fois des pièces majeures de la scène contemporaine africaine avec Cheri Samba, Cheri-Cherin, George Lilanga, Body Isek Kingelez. Le 15 mai prochain, ce sera l’enseigne de Pury & Company d’offrir à son tour à New York, avec « Africa », une vente reflétant l’esprit et l’impact de ce continent sur l’art actuel.

prix encore abordables mais en hausse

Pour autant, les résultats escomptés seront-t-ils à la hauteur des promesses ? Car le fossé est indéniable entre la reconnaissance institutionnelle et celle du marché, et cela vaut davantage pour l’art africain que pour celui d’autres régions non-occidentales. D’attribuer à certaines pièces d’art africain la qualité d’artisanat contemporain relèverait-il donc d’une vision rétrograde, ou bien  les artistes africains devraient-ils faire table rase du passé pour se conformer au goût des collectionneurs ? Sans parler de malaise ou d’atonie commerciale, les estimations pour l’art africain sont de fait raisonnables, variant en général de 1 000 à 2 500 € pour les dessins, et de 5 000 à 15 000 € pour les tableaux.