Taper pour chercher

L’artisanat futur de l’art

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Tisser les liens entre le Bauhaus, Sheila Hicks, l’École de Casablanca, l’art contemporain et l’artisanat populaire: tel est l’ambitieux propos de l’exposition «In the Carpet».

Plus transversale que monographique, « In the Carpet » dégage une belle perspective de réflexion sur l’art en rassemblant autour de Sheila Hicks plusieurs générations d’artistes du Bauhaus, de l’École de Casablanca et de la scène contemporaine. Curatée par le trio marocain Salma Lahlou, Mouna Mekouar et Alya Sebti, l’exposition ose la mise en regard de tapis traditionnels anonymes et de tapis-tableaux signés de grands noms de la scène artistique. Elle fait ainsi apparaître une dynamique de circulations et d’influences relativisant l’hypothèse formulée par Lévi-Strauss dans son Anthropologie structurale (1973) d’un art moderne qui, en renonçant à la représentation, se détache du monde, condamnant l’artiste privé d’air et menacé d’asphyxie à ne trouver qu’en lui-même les sources de son inspiration. Pour Mouna Mekouar, l’exposition conçue comme un rassemblement transdisciplinaire d’œuvres contemporaines et de références historiques, est « comparable à un récit qui témoigne de la fascination continue des artistes, au cours du XXe siècle, pour le tapis », lequel se montre ici sous toutes ses dimensions « d’objet et de représentation, d’espace et de territoire, de forme et de technique, de geste et de performance ».

 

Qui se souvient de Sheila Hicks ? 

Figure majeure du Bauhaus, élève et amie du couple Joseph et Annie Albers à Yale, Sheila Hicks était une pionnière dans l’art du textile. Grande voyageuse curieuse des architectures, des cultures, des matériaux bruts et des techniques artisanales des pays qu’elle traverse, après une thèse consacrée aux textiles préincas, suivie de plusieurs enseignements et expositions aux États-Unis et en France, elle se rend au Maroc dans les années 1970. Le gouvernement l’invite à redynamiser les créations tapissières d’un langage nourri d’abstraction, de couleur et de matière. Familière aussi bien de grands que de petits formats qui, grâce à son métier portatif, lui permettent de laisser place à l’improvisation, elle réalise lors de ce séjour une série intitulée Tapis de prière. Réalisé en collaboration avec des artisanes, ce travail s’inspire autant des ouvrages traditionnels que de l’architecture et de sa pratique personnelle des œuvres suspendues et de la tapisserie. « In the Carpet » se saisit de ce moment fondateur de sa carrière, qui sera l’objet d’une exposition en 1971 à Bab Rouah, comme d’un prétexte pour explorer les interactions entre tradition et modernité, art et artisanat, Nord et Sud, local et global.

 

Chaîne de transmission

Si en 1967 l’ethnologue Jeanne Favret écrivait au sujet des structures sociales de l’Afrique du Nord un article intitulé « Le traditionalisme par excès de modernité », on serait ici tenté d’inverser la proposition pour aller dans le sens du peintre et sculpteur Farid Belkahia, qui se plaisait à voir en la tradition le futur de l’Homme. De la force des héritages témoigne – comme à l’insu de l’exposition – la persistance du caractère fortement genré de la production de tapis à points noués : au Maroc, seules les femmes exercent sur des métiers verticaux, sujets à maints rites magiques, notamment de protection de la virginité. Parmi les artistes masculins représentés dans cette exposition, seul Mostafa Maftah, alors étudiant (en 1979) de l’atelier de tissage d’Anna Draus Hafid à l’école des Beaux-Arts de Casablanca, a pratiqué lui-même le métier à tisser. Affaire d’époque ? La venue de Sheila Hicks s’inscrit dans une période où le milieu artistique et intellectuel marocain est en pleine effervescence, autour de cette École de Casablanca qui articule, en filiation avec le Bauhaus, la thèse d’une modernité émergeant de l’équilibre entre l’avant-garde et la tradition. Selon Salma Lahlou, « cette reconquête du vocabulaire artistique national et la prise de conscience de sa complexité ne participent pas du seul discours identitaire, mais s’inscrivent dans le dessein plus large de l’émergence de la modernité marocaine. Une modernité qui prend sa source dans le potentiel de dynamisme et de créativité de l’abstraction populaire (formes géométriques et motifs floraux) intégré à l’objet utilitaire (poterie, tapis, tissage, architecture etc.) ». C’est bien encore de cette chaîne de transmission que témoigne « In the Carpet », en révélant les créations tapissières de la scène contemporaine. Yto Barrada, Saadane Afif et tout particulièrement Amina Agueznay engagent à leur tour des réciprocités entre le travail de l’artiste et celui de l’artisan pour renouveler les spécificités formelles et stylistiques du tapis marocain. Enfin, pour témoigner du « pouvoir du tapis à dialoguer avec les autres productions artistiques », le parcours présente également une œuvre picturale de Mohamed Melehi, ainsi qu’une installation/performance de Taysir Batniji.

               

Corinne Cauvin

 

 

«In the Carpet», IFA Galerie, Stuttgart, Allemagne, jusqu’au 18 décembre 2016.

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