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Traduire c’est trahir

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Passer d’une langue à une autre pose des difficultés, mais c’est aussi une façon citoyenne de composer avec autrui et ses différences. C’est tout l’objet de l’exposition « Après Babel, traduire » actuellement montrée à Marseille.

« Il y a des routes de la traduction, comme il y a des routes de la soie ». Pour Barbara Cassin, philologue et philosophe, directrice de recherche au CNRS, ces routes auraient façonné les échanges culturels de certaines régions comme la Méditerranée, où il existe depuis toujours une multitude de langues. C’est sur ce postulat qu’elle a bâti une exposition originale, à l’angle surprenant. Présentée au MuCEM, « Après Babel, traduire » part du mythe biblique de la fin d’une langue commune à tous les hommes.  Chance ou malédiction ? Barbara Cassin voit la traduction comme « un savoir-faire avec les différences ». Elle en explore les enjeux à travers les époques dans une exposition « scientifique, mais aussi très politique ». À travers 200 artéfacts archéologiques, œuvres contemporaines, documents d’archives et littéraires, le musée marseillais propose de repenser notre rapport au langage et à la communication.

Un enjeu de pouvoir

Durant l’Antiquité, les échanges permis par la traduction ont soudé l’espace méditerranéen. À l’époque, traduire les textes sacrés et les ouvrages savants était une nécessité pour accéder à de nouvelles connaissances et les approfondir en vue d’asseoir sa propre puissance. Le langage véhiculait surtout une représentation du monde. Pour Barbara Cassin, cette « translation des savoirs était aussi un transfert de pouvoir, d’une langue et d’une culture dominante à une autre ». Un transfert souvent autoritaire, comme durant les périodes impériale et coloniale. Les conquérants puis les colons ont imposé leur langue pour contrôler et rassembler les populations locales. Cette fracture subsiste en Amérique Latine ou en Afrique. Dans son tableau Les Tours de Babel (2008), Chéri Samba regrette l’artificialité des découpages coloniaux, rassemblant ou divisant des peuples, en désaccord avec la réalité géopolitique locale. Dans un contexte postcolonial, la langue est toujours un défi : combien d’écoles favorisent l’enseignement du peul ou du wolof plutôt que du français ? Et aujourd’hui, dans des contextes pluriels où le multilinguisme prédomine, comme en Europe, la traduction peut-elle être le futur ? La vidéo de Danica Dakic Zid/Wall (1998) représente un patchwork, comme un mur de briques, de 64 images de bouches racontant leur histoire en différentes langues.

«Étrangers partout»

Si la traduction est soumise à la question de l’interprétation, comme on le voit notamment pour les textes sacrés des trois religions monothéistes, elle peut davantage être une navigation, un « entre-deux-espaces ». Traduire suppose d’intégrer le point de vue de l’autre et ses référents culturels. Pour la commissaire de l’exposition, elle permet « l’apprentissage de l’Autre » et offre un lieu de rencontre. Après tout, nous sommes « étrangers partout », rappelle le collectif Claire Fontaine dans sa sculpture en néon Foreigners Everywhere (2010). Il n’y a pas de traduction sans incompréhension, sans quiproquo et sans discontinuité. Certains mots sont intraduisibles, ils n’existent pas dans l’autre langue. Certains se rattachent à des systèmes de valeur et de sens qui n’ont pas d’équivalent dans un autre contexte culturel. Et puis les langues jouent, deviennent rébus, prennent une tournure musicale, sonore ou poétique et symbolique… 

La langue des signes, par exemple, n’est pas universelle. Elle diffère d’un pays à l’autre et chaque version de ce langage transmet sa vision du monde et son cadre culturel. La vidéo Signer en Langues (2016) de Nurith Aviv, en collaboration avec Emmanuelle Laborit, montre les diverses manières de signer des mots comme « culture », « amour » ou « ciel ».

Langues en voie de disparition

Cette diversité est une richesse car les langues sont vivantes. Elles évoluent, s’inspirent réciproquement et reflètent les normes et structures sociales de leur époque. Aujourd’hui, par exemple, de plus en plus de personnes recourent à « l’alternance codique », à savoir le passage instantané d’une langue à l’autre au sein de la même phrase. C’est ce que montre le court film Marseille en v.o. où l’on entend des conversations plurilingues. Dans cette perspective, protéger les quelque 3 000 langues menacées de disparition semble crucial. La traduction peut être une alliée, protégeant également les savoirs transmis oralement et qui risquent de s’éteindre.

Malgré la barrière de la langue, se comprendre est possible, comme l’expérimente Zineb Sedira dans son contexte familial. Dans sa vidéo Mother Tongue (2002), sa mère et sa propre fille échangent, bien qu’elles ne parlent pas la même langue (la première s’exprime en arabe, la seconde en anglais). La communication non-verbale est primordiale dans les rapports humains. Et si traduire devenait plus intuitif pour déchiffrer l’autre avec ouverture et respect ?

Clelia Coussonnet  

 

«Après Babel, traduire», MuCEM, Marseille, jusqu’au 20 mars 2017.

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