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Las Meninas à travers les siècles

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Bruno Nassim Aboudrar, professeur à ’Université de la Sorbonne nouvelle et directeur du Laboratoire international de recherches en arts (LIRA), décrypte une oeuvre.

 

L’exposition «De Goya à nos jours: Regards sur la Collection Banco de España», qui s’ouvre début novembre au MMVI de Rabat, est l’occasion d’observer les diverses interprétations de l’oeuvre iconique de Diego Velázquez, Las Meninas. 

 

Montrée au Musée Mohammed VI de Rabat, Las Meninas est une oeuvre de… l’artiste catalane Soledad Sevilla. Le titre intrigue. On croit savoir qu’une oeuvre homonyme, mais datant, elle, de 1656 (1659 dans ses derniers remaniements), ne sort guère du musée du Prado, à Madrid, depuis qu’elle y est entrée en 1819. C’est là qu’elle a reçu ce nom si fameux, Las Meninas, attesté pour la première fois dans un catalogue du musée en 1843. Il fait allusion aux demoiselles d’honneur qui entourent l’infante d’Espagne Marguerite-Thérèse. Mais le roi d’Espagne, Philippe IV, qui commande le tableau à son peintre personnel, Diego Velázquez, pour un usage privé – décorer son bureau d’été à l’Alcazar – l’appelait Le Tableau de la famille. Quoi qu’il en soit, devant Las Meninas de Soledad Sevilla, on est irrésistiblement conduit à poser le problème du rapport entre les deux oeuvres de même nom, qui ne saurait évidemment être le fait du hasard. Or, de prime abord, ce rapport est rien moins qu’évident. Tout au plus peut-on arguer que, sinon par le format (un mètre de moins dans les deux dimensions pour celui de Sevilla), du moins par la proportion, assez inhabituelle, les deux pièces sont comparables : deux très grandes toiles presque carrées (220 x 200 cm et 318 x 276 cm). Pour le reste, et pour le dire nettement, tout semble les opposer. Las Meninas du Prado passe, au moins depuis que Michel Foucault a ouvert son ouvrage Les Mots et les Choses (1966) sur son analyse, pour « la représentation de la représentation classique » Las Meninas du Musée Mohammed VI (pour quelques semaines) est abstrait, c’est-à-dire que ce qui est abstrait n’est autre que la représentation. Las Meninas du Prado est un tableau plutôt sombre, où les bruns, les gris et les blancs perlés ou ivoirins dominent, exaltés par quelques éclats de rouge sang, dont cette croix de l’ordre de Santiago que l’artiste, qui, honneur exceptionnel, l’a obtenue en 1659, peint fièrement sur son pourpoint. Las Meninas de Rabat juxtapose trois bandes parallèles de couleurs, dont la plus large, centrale, est d’un beau vert d’eau, calme et clair. Las Meninas de Diego Vel.zquez creuse dans la surface du tableau l’espace fictif d’une pièce, éclairée par des fenêtres sur la droite et approfondie encore par un escalier ouvert au fond de la salle. Las Meninas de Soledad Sevilla, au contraire, accentue le plan bidimensionnel du support par des aplats réguliers de peinture – trois bandes verticales – et, plus encore, par une résille peinte qui couvre régulièrement toute la surface de l’oeuvre. Velázquez creuse, Sevilla comble. C’est peut-être, pourtant, à ce point, où l’opposition entre les deux oeuvres paraît la mieux établie, que leur secrète parenté se laisse déceler (secrète, mais en même temps revendiquée : il faut, au moins, un certain culot pour une jeune femme peintre –Soledad Sevilla a 39 ans quand elle peint la série intitulée Las Meninas – pour emprunter son titre à l’une des oeuvres les plus célèbres et les plus révérées au monde). Pour l’aborder, il faut restituer un chaînon manquant dans la chaîne de relations qui lie le tableau de Velázquez à celui de Sevilla. Entre les deux, prend place en effet la somptueuse série de 58 toiles que Picasso a peintes au cours de l’automne et de l’hiver 1957 et qui sont visibles aujourd’hui au Musée Picasso de Barcelone. Leur titre ? Las Meninas.

 

Retrouvez la suite de l'article dans le numéro 40 de diptyk 

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