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Les mille et une vies de Melehi

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Malgré la récurrence du vocabulaire plastique, l’œuvre de ce pionnier de l’art moderne marocain n’a cessé d’être traversée de remises en perspective.
 

Il y a quelque chose de sorcier dans la longévité de la carrière de Mohamed Melehi. Mille fois enterré, l’artiste – quatre-vingts ans tout rond – a autant de fois ressuscité, son œuvre toujours pareille, à chaque fois renouvelée. Son admirable constance, confinant à l’obstination, caractérisée par ces ondes-là qui, dès le début, ont été sa marque de fabrique, force aujourd’hui l’admiration de tous, y compris (surtout) chez les plus jeunes. Ondes agitées, à chaque nouvelle étape, par un souffle nouveau, parfois simplement traversées d’un doux frémissement.
 

Melehi ajoute une page à son volumineux ouvrage qu’on pourrait – un peu trop facilement – intituler « Variations sur un thème ». Dans ses dernières toiles, qui sont actuellement exposées, l’artiste s’interroge sur l’empreinte laissée par l’homme sur son environnement ainsi que sur notre capacité à mesurer les effets de la révolution numérique. Picturalement, cela se traduit entre autres par l’introduction dans la composition de nouveaux motifs graphiques. Un nouvel algorithme vient, soudain, perturber l’ancien, celui de toujours, les fameuses ondes chromatiques. Il s’agit de bandes horizontales représentant des passages cloutés, parsemés d’empreintes de pas, symbolisant la nature piétinée par l’homme, ou encore ces codes-barres que l’artiste juge angoissants car envahissant de plus en plus notre champ visuel quotidien. Il y voit le symbole d’une identité confisquée par des forces elles-mêmes non identifiées mais néanmoins omniprésentes.
 

C’est en 2014, dans les œuvres exposées sous l’intitulé « Quelques arbres de l’Antiquité », que Melehi avait introduit pour la première fois, du moins explicitement, une dimension conceptuelle. Jusque-là, il présentait son travail comme une simple exploration organique et cosmique du monde, à travers cette  peinture plus concrète qu’abstraite, dont la puissance résulte d’une implacable maîtrise d’aplats de couleurs franches, mises en musique par une symphonie de mouvements lyriques. Les « arbres » en question portaient des noms aussi chargés de sens et de grandeur que Hammourabi, Toutankhamon ou Juba II. Histoire de rappeler à qui de droit, par ces temps de mondialisation-confusion, que non, la civilisation méditerranéenne antique fondatrice ne fut pas que gréco-latine !
 


Une schizophrénie certaine
 

Auparavant, dès la fin des années 1990, sans que cela ait été annoncé par l’artiste ni véritablement relevé par la critique, la peinture du maître avait subrepticement glissé vers un érotisme d’autant plus savoureux qu’il ne sautait pas aux yeux : simplement, les éternelles lignes courbes avaient, très discrètement, très élégamment, mais sans l’ombre d’une ambiguïté, cessé d’évoquer les vagues à l’âme et/ou les flammes de la passion, pour représenter des fessiers féminins stylisés…


Aujourd’hui, avec l’intrusion de cette nouvelle géométrie, ce nouveau codage, ces droites parallèles venues bousculer son ancien monde ondoyant, Melehi se dédouble étonnamment, actant ainsi une schizophrénie certaine, la sienne, celle de l’époque. Contemporain, vous dit-on !

 

Jamal Boushaba  

 

 

Melehi, «Hymne au climat», Loft Art Gallery, depuis le 10 novembre

Sans titre, 2016, 200 x 160 cm Courtesy de l’artiste et loft art gallery
Sans titre, 2016, 200 x 160 cm Courtesy de l’artiste et loft art gallery

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