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L’homme qui murmurait à l’oreille des artistes

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À la tête de la Galerie Shart depuis 2006, Hassan Sefrioui célèbre les dix ans d’une enseigne qui s’était donné pour mission de porter l’art d’une génération. Un bilan en clair-obscur. 

 

Pourquoi avoir fondé une galerie en 2006 ? À quoi ressemblait le paysage artistique à ce moment-là ? 

Pendant les quinze ans où je gérais une entreprise dans le domaine agroalimentaire, je consacrais mes moments de détente au sport automobile et à l’art contemporain. J’avais ainsi noué des liens d’amitié avec quelques artistes. C’est avec trois d’entre eux que j’ai ouvert la galerie : Ilias Selfati, Younes El Kharraz et Rita Alaoui. Il n’y avait à cette époque-là que deux ou trois galeries d’art moderne à Casablanca, parmi lesquelles Venise Cadre et la Galerie Nadar qui programmaient essentiellement de l’art moderne.

 

Quelle était votre ligne éditoriale ? 

Montrer de la peinture contemporaine, mais pas au sens galvaudé qu’a pris ce terme aujourd’hui. C’était simple : montrer des artistes de ma génération, qui avaient un discours auquel j’étais sensible et qui cherchaient à faire exister leur travail pour un lieu et un public générationnel. J’ai créé Shart dans les murs de l’ancienne galerie Meltem fondée par Nawal Slaoui et Leyla Lamrani Karim. J’ai d’ailleurs travaillé avec deux artistes majeures de l’enseigne, Lamia Naji et Najia Mehadji. 

 

Quel était alors votre modèle de galerie ?

En 2004, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés à Paris, je suis entré dans une galerie où était exposé l’artiste photographe David Amstrong avec un travail sur l’identité, des portraits assez crus de jeunes issus de l’immigration aux USA. C’était la galerie de Kamel Mennour qui était en passe de devenir le galeriste mondialement reconnu qu’il est aujourd’hui. Je me suis dit que si un type de la diaspora maghrébine arrivait à faire ça à Paris, je pouvais bien à mon niveau avoir une telle ambition.

 

Aviez-vous des fonds importants ? Des associés ?

J’ai monté cette galerie avec mes fonds propres et sans associé.

Après dix ans d’activité, où en êtes-vous ?

J’ai montré 23 artistes dans un flux continu, parfois en collaboration avec d’autres galeries. Ils sont tous présents dans l’exposition que je montre actuellement et qui s’intitule « Art Is Truth », une phrase prononcé par John Fitzgerald Kennedy quelques jours avant son décès pour souligner la force de l’art. 

 

Comment fait-on pour avoir une galerie viable sans s’encroûter ?

Je pense qu’il ne faut pas avoir peur du silence. Il y a nécessairement des périodes très creuses, surtout en été. Il faut savoir profiter de ce calme pour faire des recherches, se documenter, visiter les ateliers d’artistes, en somme garder l’esprit vif.

 

Quels ont été vos plus gros succès et vos plus gros flops ?

Ce n’est pas si simple. Pour moi, le premier critère de succès, ce n’est pas la quantité de pièces vendues ni le chiffre d’affaires d’une exposition, mais plutôt la qualité de la visibilité offerte à un artiste. C’est un succès si l’on arrive à placer une pièce dans des collections publiques prestigieuses comme des musées ou des fondations. Par exemple, l’exposition de Youssef Titou cette année était modeste, mais pour moi c’est un succès, car une de ses œuvres a rejoint la collection de Bank Al-Maghrib.

Au Maroc, qui sont les collectionneurs et qu’achètent-ils ?

Les collectionneurs sont essentiellement des institutions mais aussi des décideurs dans une tranche d’âge entre 45 et 65 ans. Parmi les amateurs privés, il y a ceux qui achètent tout simplement parce qu’ils sont séduits et ceux qui achètent pour placer leurs économies. Il y a aussi ceux, plus rares, qui arrivent en galerie en ayant fait leur « homework » !  Ils suivent l’artiste, ont pris le temps d’y réfléchir et de choisir une pièce précise dans sa carrière. J’avoue avoir un très grand plaisir à recevoir et parfois conseiller ce troisième cas de figure.

En dix ans, avez-vous été présent dans des foires et était-ce une bonne idée ?

J’ai exposé lors des deux éditions de Marrakech Art Fair, événement formidable dont je regrette beaucoup la disparition. Bien sûr c’est une très bonne idée pour la visibilité des artistes. Mais financièrement c’est très difficile à assumer parce que les artistes marocains contemporains ne figurent pas dans la gamme de prix qui permet d’équilibrer le budget de participation à une foire. Par exemple, pour participer à Art Dubaï, il faut pouvoir débourser en moyenne 40 000 €. Dans un stand de 20 m², avec des artistes sous contrat à 50%, il faudrait vendre pour 80 000 € d’œuvres pour que ce soit rentable. C’est injouable, à moins de majorer les prix, démarche à laquelle je me refuse !

 

D’après vous, est-ce que le galeriste doit proposer des œuvres au goût de son public ou a-t-il vocation à faire bouger les lignes?

À mon avis le galeriste doit savoir traduire le travail des artistes, le rendre compréhensible, visible. Il faut apporter de la nouveauté, proposer des idées et les défendre, savoir convaincre, gagner la confiance, en deux mots avoir une légitimité et s’y tenir.

 

Que pensez-vous de la transhumance des artistes d’une galerie à l’autre ?

Quand j’ai ouvert la galerie, une galeriste à la retraite m’avait mis en garde contre ce phénomène, que j’ai d’ailleurs très vite observé à mes dépens. De mon point de vue, si un artiste souhaite travailler chez moi mais qu’il est déjà sous contrat ailleurs, je cherche avant tout à obtenir l’accord de son galeriste, c’est une question de respect des valeurs de travail. Je sais quels efforts et sacrifices cela suppose de faire émerger un artiste et son œuvre.

 

Que retenez vous de cette décennie ?

Essentiellement que notre pays a réussi en dix ans à réunir tous les acteurs nécessaires à la structuration d’un marché : ministère de tutelle, artistes, galeristes, marchands d’art, musées, fondations, hôtels de ventes, publications spécialisées, foires, biennales… Tout cela me donne confiance.

Propos recueillis par Meryem Sebti

 

 

«Art Is Truth», Galerie Shart, Casablanca, du 16 décembre 2016 au 14 janvier 2017.

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