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Littérature, pensée, art : même combat

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Pôle d’un mouvement littéraire, culturel et politique, la revue Souffles, qui fêtera ses cinquante ans en avril 2016, était aussi la tribune des artistes plasticiens. S’érigeant contre l’orientalisme et l’art naïf, ils militaient pour une relecture de la tradition plastique marocaine. 
 

En mars 1966, apparaît dans les kiosques une revue à la couverture crème, sobrement ornée d’une tache noire, comme la buée que laisse le souffle sur une vitre, explique Mohamed Melehi, qui a conçu la maquette de Souffles. La revue, fondée par Abdellatif Laâbi, Mostafa Nissabouri et un groupe de jeunes poètes principalement francophones, se veut la tribune d’une création d’avant-garde. En quelques années, elle attire près d’une centaine de talents, cinéastes, penseurs, écrivains, militants de gauche… et bien sûr artistes-peintres. Dès le début, elle est réalisée en commun par les poètes et les artistes qui enseignent alors à l’École des Beaux-Arts de Casablanca. Mohamed Melehi, Mohamed Chabâa et Farid Belkahia sont partie intégrante du « comité d’action » de cette revue qui ne se contente pas de reproduire leurs œuvres à titre d’illustrations mais relaie pleinement leur vision et leurs préoccupations. Souffles consacre même en 1967 un numéro double dédié aux arts plastiques. 

C’est que peintres et poètes ont beaucoup en partage. D’abord leur insatisfaction face aux circuits existants. « Une situation anarchique », résumait Farid Belkahia. Très peu de galeries où exposer, dont la galerie Bab Rouah et l’Atelier, dirigée par Pauline de Mazières, à Rabat. Pas de politique culturelle pour structurer le domaine et pour préserver et mettre en valeur un patrimoine menacé par les transformations que la société marocaine a connues au cours du XXe siècle. Échec de l’expérience de l’Association nationale des Beaux-Arts créée en 1963 pour mettre en place un programme de biennales, dont Belkahia et Chabâa, les premiers présidents, démissionnent. Résultat, la plupart des artistes ont dû se faire connaître à l’étranger, notamment en Europe. Au-delà de la faiblesse d’un circuit de diffusion de l’art, leur insatisfaction vient surtout du contenu de ce qui est présenté dans les galeries existantes. 
 

MOHAMED CHABÂA VOIT DANS LA PEINTURE ORIENTALISTE UNE RÉMANENCE DU COLONIALISME ET DÉPLORE SA PERPÉTUATION QUI DÉFORME LE GOÛT DU PUBLIC MAROCAIN. 

 

DÉCOLONISER LA CULTURE 


Souffles relaie en effet leurs critiques à l’encontre d’une programmation qui met en avant la peinture orientaliste et les autodidactes, dont ils qualifient le travail d’art naïf. Mohamed Chabâa ironise sur cette « peinture documentaire et exotique » importée par des « peintres européens médiocres ». Il y voit une rémanence du colonialisme et déplore sa perpétuation qui déforme le goût du public marocain. De plus, il juge indispensable qu’un artiste accompagne sa création d’un travail de réflexion. Rien de pire à son sens que ces expressions brutes et exotiques, en un mot folkloriques. Tout en dénonçant une politique de développement orientée vers le tourisme qui fige la production artistique dans des stéréotypes de basse qualité, il appelle à une relecture critique de la tradition plastique marocaine. Participer à la revue Souffles est donc, pour ces artistes, avec l’organisation d’expositions collectives – leur mode d’action privilégié –, le moyen d’affirmer un mouvement. Protestant contre le vedettariat et les mondanités élitistes des galeries, ils sortent dans l’espace public. En 1969, Mohamed Chabâa, Mohamed Melehi, Farid Belkahia, Mustapha Hafid, Mohamed Hamidi et Mohamed Ataallah investissent, pour une exposition-manifeste restée célèbre, la place Jamaâ El Fna de Marrakech, alors gare routière, et vont à la rencontre des passants pour expliquer leur démarche. Et proposer une autre éducation de l’œil.


Par Kenza Sefrioui

La suite de cet article est disponible dans Diptyk magazine #31 en kiosque et en ligne ici https://www.relay.com/diptyk/numero-courant-1254.html

Mustapha Akrim, Two powers, 2015, fusain sur papier, 160 x 140 cm - estimation 80 000 - 100 000 DH
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Alëxone Dizac, Saint sauveur, 2012 © Alëxone Dizac
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Simohammed Fettaka, "The greatest show on earth", 2012
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Article in Souffles n°9, 1er trimestre 1968, illustré par une peinture de Mohamed Chabâa
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