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Mo Baala : Vivre le danger de sa vie

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Mo Baala est-il le nouveau Basquiat ? L’émergence fulgurante de cet autodidacte sur la scène contemporaine rend la comparaison tentante. Portrait d’un jeune artiste qui se définit comme «un poète au milieu de la guerre». 

 

 

L’art devient le plus sûr moyen d’organiser ses pensées, d’apaiser ses tensions, de ne pas être fou comme son entourage l’en suspectait.

 

Face à l’œuvre de Mo Baala, certains questionnent : est-ce de l’art ? C’est vrai, il n’est pas passé par les écoles. Aucune d’ailleurs, puisqu’à 10 ans il est dans la rue à vendre des cigarettes à l’unité. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’a pas reçu de formation. Né en 1986 à Casablanca, Mo Baala fait très tôt l’apprentissage de la vie et des moyens d’expression artistiques qui lui permettront, à chaque nouvelle impasse du destin, de trouver une issue vers la connaissance et la réparation affective. Tout commence, aussi loin qu’il s’en souvienne, à Taroudant où il a grandi. Quand, enfermé par sa grand-mère pour éviter qu’il ne traîne dans la rue, il se met à déchiffrer les traces du temps sur les murs. Ou lorsqu’enfin échappé dans la campagne avec des gosses de son âge, il s’amuse à repérer un âne qui dort dans la forme d’un rocher, une mère et son fils dans celle d’arbres enlacés – hallucinose assez commune, du reste, dans cet archaïque Anti-Atlas où l’on se prête volontiers à la sacralisation de pierres anthropomorphes et zoomorphes. De ce terroir, ses œuvres gardent la puissance fantasmagorique. Dans la mise en présence de ses personnages, mi-hommes mi-monstres, on croit lire le récit de quelque mythologie, partiellement indéchiffrable si ce n’était l’insertion de paroles intelligibles – « They are trying to stop life from going on » –, voire de poésies jamais lasses de relater l’abandon du père et de la mère, la privation, le manque, la peur, l’hésitation,donttriomphelapratiqueartistique– «Ihavelife,yes I have ». 

 

À l’école de la vie et des petits métiers, les rencontres sont bien sûr déterminantes : avec les artisans et les commerçants de la médinadeTaroudant; aveclestouristesaucontactdesquels il apprend l’anglais ; avec les poupées cassées et les livres qu’il ramasse au gré de collectes d’ordures ; puis avec la musique, la philosophie, les sciences et l’histoire dont il se nourrit avec des amis de jeunesse ; avec les bouquinistes auprès desquels progressivement il peut s’approvisionner ; enfin avec les artistes (Marc Belli), les curateurs (Aniko Boehler, Younès Baba-Ali, Mia Odermatt du Ke’ch Collective, Angelo Bellobono du projet AtlaSnow, Jean Feline, Florence Devereux et Taïs Bean de Mint Works), les galeristes (Nathalie Locatelli et plus récemment Hicham Daoudi), qui lui offrent en plus de leur soutien l’opportunité de collaborations artistiques. L’art devient le plus sûr moyen d’organiser ses pensées, d’apaiser ses tensions, de ne pas être fou comme son entourage l’en suspectait tant il se sent comme « un poète au milieu de la guerre, cerné par le danger de sa propre vie ». Son monde est structuré non pas tant de récits  que de conversations : celles entretenues avec les poupées de la décharge, les animaux et les visages imaginaires repérés dans les nuages, les humains aussi, qu’il observe des heures durant depuis le sommet d’un rempart de Taroudant où, pendant des années, il trouve refuge pour regarder, dessiner. Celles enfin qu’il structure en noircissant de feutre textes et images, transformés par l’addition de collages et de graffitis, en conversations entendues en ville, chez le réparateur de vélo ou le marchand de bessara. Dans cet effort rituel de restitution de voix, de comportements, de charismes, il ressent le plaisir « de sortir de la fatigue de sa situation ». Également compositeur de musique et chanteur,  il sait désormais que « son travail l’a choisi ». Partout il dessine pour, dit-il, « clarifier la vie, les comportements, les interactions, les émotions. Mon stylo est ma caméra. Je vois tant de caractères, qui bougent tout le temps, alors que je dessine pour en conserver les traces ». Il se met à voyager, beaucoup, à pied. Casablanca-Safi, Essaouira-Taroudant, Marrakech-Taroudant, cinq fois, « going and going, thinking », à la recherche de connexions avec la nature, de rencontres… « Je ne m’en fatiguais pas, j’étais seul mais différemment, créant de la conversation avec moi-même, chantant haut et fort, dansant comme un enfant tout en me sentant adulte. » Bien que son érudition décuple, il ne se targue d’aucune réponse. « Moi, je ne comprends que moi, pas la société. Et réciproquement. Je dessinecontrelaconfusion,etpourneplusavoirpeur.» 

 

 

 

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