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Rakajoo, artiste obstiné

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Après s’être fait connaître en 2020 dans l’exposition collective « Jusqu’ici tout va bien », le peintre Rakajoo revient hanter le Palais de Tokyo, avec sa première exposition personnelle « Ceinture Nwar ». Il retrace avec nous son parcours, dont la fulgurance continue de l’émerveiller.

Une tête de mule. C’est la signification du mot wolof rakajoo par lequel la mère du peintre avait coutume d’appeler son fils, Baye-Dam Cissé de son vrai nom. L’artiste se choisit ce pseudonyme en 2019, après un séjour de plusieurs mois au Sénégal, le pays natal de sa mère qui vient alors de disparaître. Ce surnom dit à lui seul toute la ténacité et l’obstination qu’il a fallu à ce jeune autodidacte, né en Seine-Saint-Denis en 1986, pour embrasser à la seule force de sa volonté une carrière de peintre, couronnée aujourd’hui par une première exposition personnelle au Palais de Tokyo.

L’un de ses souvenirs les plus marquants remonte à la classe de troisième, dans un collège de la Goutte d’Or à Paris, quand un professeur lui conseille, puisqu’il veut suivre des études d’art, de s’inscrire en BEP électronique pour dessiner ! « Cela a vraiment été un élément déclencheur pour moi, affirme Rakajoo. Il était hors de question de subir cette forme de déterminisme social. Aujourd’hui encore, je remercie ce prof d’avoir prononcé ces mots car c’est ce qui a renforcé ma ténacité ! »

Alternative, 2022, acrylique et huile sur toile, 180 x 180 cm. Courtesy Galerie Danysz

Paris est une école

La peinture, il la rencontre tout d’abord en déambulant dans le quartier de Montmartre, près de la place du Tertre, et en fréquentant les principaux musées parisiens, du Louvre à Orsay. Sa découverte de Lucian Freud le confortera dans ses choix, de même que plus tard celle du peintre afro-américain Kerry James Marshall. En 2007, alors qu’il pratique la boxe au Boxing Beats d’Aubervilliers, il accepte de réaliser une fresque murale commandée par la Fondation Lagardère. « J’ai fait le saut de l’ange, commente-t-il aujourd’hui. En plus, on m’avait payé donc je ne pouvais pas reculer ! » En autodidacte passionné, il achète plusieurs livres sur la théorie de la couleur afin de mieux saisir le principe de réflexion de la lumière : « Je cherchais à comprendre comment tout venait se poser et se mélanger sur la toile. »

Pendant plusieurs années, il participe à quelques expositions collectives, notamment sur la boxe, ce qui le fait « moyennement kiffer ». En 2012, la Fondation Blachère le convie à rejoindre l’exposition « Boxe ! Boxe ! » puis, en 2015, il intervient dans le festival 12 x 12 au Musée national de l’histoire de l’immigration où il présente, pour la première fois, un portrait représentant sa mère. Il se convertit sans complexes à la peinture à l’huile, qu’il choisit « pour toute l’aura qu’il y a autour ».

Avec ce médium, « tu passes vraiment à un step supérieur, expliquet-il. Tous les grands peintres historiques, de Raphaël à Michel-Ange, en passant par Rembrandt, Delacroix, Le Caravage ou Picasso, ont un dénominateur commun : l’huile ! » Ce sera donc l’huile, accompagnée parfois d’acrylique ! Un choix qui a d’ailleurs tout de suite frappé sa galeriste parisienne, Magda Danysz : « Notre première discussion a porté sur la substance de la peinture, la texture de ce médium particulier. Peu d’artistes revendiquent et manipulent la peinture à l’huile avec autant de discernement que lui ».

Face à toi, acrylique et huile sur toile, 2021, 40 x 24 cm. Courtesy Galerie Danysz

De Kourtrajmé au Palais de Tokyo

Pendant une dizaine d’années, Rakajoo se perd un peu. Il se tourne vers le développement de jeux vidéo ou le cinéma d’animation, qu’il dit adorer plus que tout. Puis, en 2019, de retour du Sénégal, il intègre l’école Kourtrajmé fondée par le réalisateur Ladj Ly, dans la toute nouvelle section Arts et images créée par l’artiste JR. « Kourtrajmé, commente Rakajoo, c’est la fenêtre ouverte sur le monde. Ce truc opaque qu’était pour moi le monde de l’art, j’entre enfin dedans ! »

En 2020, il participe au Palais de Tokyo à l’exposition collective « Jusqu’ici tout va bien », célébrant les 25 ans du film La Haine de Mathieu Kassowitz. Après avoir remporté le Prix des Amis du Palais de Tokyo, il retrouve aujourd’hui les cimaises de l’institution parisienne pour sa première exposition personnelle curatée par Hugo Vitravi, « Ceinture Nwar ».

Toi et Moi, 2023, acrylique et huile sur toile, 162 x 114 cm. Courtesy Galerie Danysz

Une carrière internationale ?

D’essence narrative, sa peinture qui reste fidèle au genre du portrait s’attache le plus souvent à peindre des gens de son entourage. Rakajoo « maintient un équilibre entre le respect des traditions picturales et l’histoire de l’art, précise Magda Danysz, tout en insufflant une touche résolument contemporaine, notamment perceptible dans ses perspectives qui évoquent l’onirisme de la bande dessinée.

De plus, il s’ancre dans la modernité grâce à ses personnages, qui reflètent des individus que nous côtoyons quotidiennement, que ce soit par leur posture, leurs vêtements ou leur comportement ». Nourrie en effet par la bande dessinée et le cinéma d’animation, sa peinture privilégiant souvent les aplats accorde désormais une plus grande importance au décor, qui devient pour le peintre « un personnage à part entière ».

S’apparentant à de véritables storyboards, ses dernières toiles jouent toujours de cadrages resserrés, d’angles de vue en plongée ou en contre-plongée. Contrairement aux mangas qui l’ont nourri, ses personnages, aux traits anguleux qui disent l’obstination, sont dessinés avec des yeux minuscules pour mieux happer le regard du spectateur. « Pour les toiles que j’ai réalisées pour le Palais de Tokyo, reconnaît Rakajoo, j’ai beaucoup utilisé l’allégorie. J’ai toujours une intention de départ, un récit que je construis, mais je laisse le spectateur se laisser porter. C’est un peu comme un jeu de pistes. »

Contemplation, 2022, huile sur toile, 162 x 114 cm Courtesy Galerie Danysz

Aujourd’hui, son regard sur le monde a changé. Il a repris la boxe, fini troisième au dernier championnat de France amateur, dans la catégorie Welters. Il trouve que le monde de l’art et de la culture s’est ouvert sur les parcours de la diversité, à laquelle il est fier d’appartenir. Sans doute la vogue actuelle de l’art contemporain africain, portée par de nombreuses galeries parisiennes, y est-elle pour quelque chose.

Sa galeriste Magda Danysz, qui l’a présenté à Shangaï, s’en réjouit et témoigne de l’intérêt que suscite à l’étranger la peinture de son jeune prodige : « Des collectionneurs chinois sont séduits par sa narration, tout comme des collectionneurs américains apprécient son universalité. Rakajoo, comme il le dit lui-même, raconte des histoires qui touchent tout le monde. Il est un conteur à l’ancienne dans des baskets contemporaines. » Une tête de mule qui, à la force du poignet et avec un mental de boxeur, a bravé tous les obstacles et s’apprête à sortir en janvier prochain sa première BD Entre les cordes (Casterman). On imagine que sa mère aurait été fière de lui.

Par Olivier Rachet

— Rakajoo, « Ceinture Nwar », Palais de Tokyo, Paris, du 19 octobre 2023 au 7 janvier 2024.

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