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RENCONTRE AVEC HICHAM BENOHOUD

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"Je ne cherche pas à restituer l'objectivité du monde"

 

Une œuvre n’existe que parce que l’on y met de soi. Jusqu’ici, l’individu était au centre des œuvres de Hicham Benohoud. Ce qui ressortait à travers La salle de classe, Version Soft ou Half Couple, c’est sa volonté d’enlever les traces du façonnement culturel de l’humain, et de placer des objets de façon à ce qu’ils déforment la normalité.

Âne situpourrait être une proposition artistique in situ, désignant ce mode artistique qui prend en compte l’environnement qui l’accueille. Mais y introduire un animal déplace la réflexion hors du concept artistique.

Ce qui fait que la scène soit si troublante n’est pas tant dans le territoire investi – des salons bourgeois marocains – mais dans la position qu’occupe l’animal : tantôt mis en avant, sur un piédestal, tantôt enfermé dans un grillage, l’âne est le centre de l’attention.

Pour Âne situ et pour chacune de ses séries photographiques, Hicham Benohoud est en quelque sorte un artiste à l’« opportunisme de proximité ». C'est-à-dire qu’il puise dans les opportunités de son quotidien la matière de son inspiration, de façon quasi instinctive. C’est probablement pour cette raison qu’il laisse au spectateur une liberté totale d’interprétation, ne lui permettant de recevoir que les images témoins d’une œuvre, sans le parfum d’un art contextuel.

 

Comment vous est venue l’idée de cette série, et comment avez-vous procédé pour faire ces prises de vues ?

Depuis quelques années déjà, j'avais l'idée de photographier des ânes dans des intérieurs marocains. Comme le dispositif demande une logistique conséquente, j'avais du mal à le mettre en place jusqu’au bout. Malgré cela, toutes les difficultés étaient surmontables sauf une : les gens refusaient catégoriquement que les ânes foulent le sol de leur maison. En 2012 j'ai parlé de ce projet à Nawal Slaoui qui dirige Cultures Interface. Elle a tout de suite été emballée par l'idée et en quelques jours seulement, elle a réussi à convaincre plusieurs personnes de nous prêter gracieusement leur salon pour la journée. Une fois les dates de prises de vue fixées, j'ai loué des ânes et demandé à une petite équipe de quatre personnes de me donner un coup de main pour installer le dispositif, positionner les ânes selon mes consignes, etc. La réalisation de ce projet a finalement nécessité une période de quelques mois, allant de mai 2012 à février 2013.

 

Jusqu’ici, vos précédents travaux photographiques étaient des portraits ou des autoportraits. Vous y introduisez aujourd’hui l’animal, quelle place tient-il dans Âne situ ?

Effectivement, dans mes précédents travaux, j'ai fait des portraits et des autoportraits. C'est la première fois que je photographie l'animal. J'habite dans un quartier populaire à Casablanca depuis quatre ans. Dans mon quartier, il y a une grande écurie de fortune où passent tous les jours des centaines d'ânes. A force de les croiser quotidiennement, l'idée d’Âne situ s'est imposée à moi. Dans cette nouvelle série photographique, l'âne tient une place primordiale dans la mise en scène. Il devient le modèle. Il n'y a aucune autre présence animale ou humaine.

 

Pourquoi mettre ce qui est dehors, dedans ?

Le quartier où j'habite m'inspire beaucoup. En plus des bêtes que je croise dans la ville au quotidien, on trouve dans ses rues de grands magasins à ciel ouvert. Toute la marchandise est exposée à même le trottoir, dehors. En parcourant les rues, on trouve des étalages immenses de parpaings, de tôles, de madriers. Comme l’a très bien écrit Lamia Berrada qui a réalisé le texte de mon exposition, le fait de mettre ce qui est dehors, dedans « témoigne explicitement de la confusion typiquement marocaine de ces deux espaces, qui empiètent constamment l'un sur l'autre sans se reconnaitre d'identité propre. »

 

Lorsque vous fabriquez les images d’Âne Situ, vous mettez en scène une distorsion de la vie courante. Quel sens donner à une œuvre contextuelle qui n’existe pas dans la réalité ?

Je ne photographie pas le monde comme il se présente. Je ne cherche pas à restituer l'objectivité du monde. Je ne fais pas du reportage photo. Je ne réalise pas de photos d'architecture, de paysage ou toute autre photo de genre. Avant de prendre une photo, j'interviens en amont pour créer des dispositifs en réorganisant les choses à ma manière. Souvent, dans mon atelier, je fais des croquis de différentes situations, que j'imagine en vue de les transformer en véritables scènes prêtes à être immortalisées. J'agis systématiquement sur mon environnement. Jedonne à voir deux mondes qui ne se rencontrent pas.

[…] Retrouvez l'intégralité de cet entretien dans Diptyk#21, aujourd'hui en kiosque.

Frédéric Bentue

 

Hicham Benohoud, "Ane situ"

Musée de la Fondation Abderrahmane Slaoui, Casablanca

Jusqu'au 11 janvier 2014

Bibliothèque, 2010, tirage photographique, 100 x 156 cm
Bibliothèque, 2010, tirage photographique, 100 x 156 cm
© BIC
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