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Roman graphique : 5 bijoux à la loupe

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Une esthétique plus radicale, une recherche de nouvelles relations entre l’image et le récit ou le texte… plus encore que la bande dessinée, le roman graphique veut sortir des codes et revendique toutes les libertés. Intimiste ou fantastique, militant ou nostalgique… nos coups de cœur.
 

Une sélection de Kenza Sefrioui
 


L’esprit des lieux


Tout commence par un salon vide, avec d’un côté une fenêtre, de l’autre une cheminée. Puis apparaît un canapé. Une bibliothèque. Des dates : 1623, 1957, 2014… Des cases avec d’autres dates. Ici, c’est l’histoire d’un lieu à travers le temps, depuis l’apparition de la vie sur Terre jusqu’en 22175. De la mer originelle à la forêt, en passant par un siècle, le XXe, pendant lequel un appartement a existé, abrité plusieurs générations de personnages, vu défiler les modes, les styles de décoration, les animaux domestiques, les jeux d’enfants, les disputes et les rires.

Richard McGuire signe un splendide livre, qui a décroché le Fauve d’or du meilleur album au dernier festival d’Angoulême et a été unanimement salué comme un tour de force graphique. S’inspirant des fenêtres superposées sur les écrans d’ordinateur, l’artiste américain a forgé dès 1989 ce procédé narratif qui juxtapose les époques et joue des échos. En aquarelles et dessins, quasiment sans un mot, il propose une symphonie visuelle sur les réminiscences, l’oubli et le temps qui passe.

Ici, Richard McGuire, Gallimard Jeunesse, hors série BD, 304 p., 370 DH

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Vivre, malgré tout


Dans une petite ville de province du nord de la Syrie, Yasmine a créé un hôpital clandestin où elle soigne les rebelles tout en répétant la blague de Joha sur les défis impossibles… Il en faut de l’humour pour affronter l’enfer de la guerre civile, avec son lot d’horreurs, de trahisons, et l’espoir toujours plus faible… Au Freedom Hospital, se croisent des personnages de tous bords et de toutes confessions, dont les amours, les choix et les désillusions dressent un poignant portrait collectif de la Syrie. Réfugié à Paris, Hamid Sulaiman raconte, dans ce magistral premier livre entre fiction et réalité, cinq saisons en Syrie. Sa première image : une branche d’olivier. Son premier texte : « Mars 2012, 40 000 victimes depuis le début de la révolution ». La suite fait le funèbre décompte du temps et des morts. Ses dessins à l’encre en noir et blanc, entre passages BD et grandes doubles pages très graphiques, revisitent les classiques de l’art et les photos et vidéos d’actualité et les coulent dans une esthétique expressionniste qui fait de ce livre un cri pour la paix. 

Freedom Hospital, Hamid Soulaiman, Éditions Ça et là / Arte éditions, 288 p., 300 DH


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Dans l’enfer de la migration clandestine


« Si je pouvais revenir en arrière, jamais je ne referais ce voyage », confie Etenesh, la jeune femme à la tenue écarlate dont le témoignage est le fil conducteur de ce récit. Partie d’Éthiopie en 2004, elle arrive après deux ans d’horreur à Lampedusa. Soudan, désert du Sahara, prison en Libye, traversée en canot… Le bédéiste italien Paolo Castaldi zoome sur la traversée terrestre. Avec un style minimaliste et intense, il restitue la brutalité des faits et donne à ce reportage une grande puissance visuelle et émotionnelle. Il y a d’abord les espoirs, le ciel bleu en ouverture. Puis les couleurs deviennent ocre, grises, noires. Couleurs de la soif, de la violence, de la peur. Paolo Castaldi évoque les objets qu’on emmène, les morts en route, les récits de la guerre, « l’angoisse de vivre dans un pays où, étant clandestin, tu vaux moins qu’un animal », l’obsession du suicide, la torture, les viols, le sadisme. Et le silence et la solitude. Dédié à tous ceux qui ne sont jamais arrivés, cet album, réalisé en partenariat avec Amnesty International, a reçu le Prix Valeurs Humaines 2016.

Etenesh, l’Odyssée d’une migrante, Paolo Castaldi, Éd. des Ronds dans l’O, 122 p., 280 DH


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L’extase du tarab


C’est un bijou. L’artiste libanaise Lamia Ziadé signe, après Bye Bye Babylone : Beyrouth, 1975-1976 (Denoël, 2010), un magistral second roman graphique. Ô nuit ô mes yeux est une somptueuse fresque qui retrace un siècle d’histoire artistique, intellectuelle, mondaine et politique au Proche-Orient, depuis la Nahda jusqu’aux années 1970. Son fil conducteur : le tarab, avec les divas Asmahan, Oum Kalthoum, Fayrouz, mais aussi Mohammed Abdelwahab, Farid El Atrache. On y croise Saâd Zaghloul, Nasser, Hoda Chaarawi, Ahmad Chawki, le roi Farouk, paysannes et princesses, émirs et officiers, khawagate et banquiers, cinéastes, espions, imams…

L’artiste, qui a débuté dans le dessin de mode, fait alterner des pages de texte et des pages de dessin : portraits, objets, cinémas, casinos, grands hôtels… Elle s’inspire des affiches et des photos d’époque pour restituer le glamour et les lieux mythiques et donner corps de façon toute personnelle à ces vies tumultueuses et si romanesques. On se régale et le plaisir se prolonge sur le site onuitomesyeux.com, avec toutes les vidéos.

Ô nuit ô mes yeux : Le Caire/Beyrouth/Damas/Jérusalem, Lamia Ziadé, P.O.L., 576 p., 510 DH


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À la recherche de la lame maléfique


Du temps où les Esprits régnaient sur la Terre, deux forgerons, Shasdo et Yasa, fabriquaient des sabres magiques. Si ceux de Shasdo n’agissaient que pour le bien, ceux de Yasa poussaient leurs maîtres à faire le mal. Pour protéger les Hommes, l’Empereur ordonna la destruction des sabres de Yasa. Une seule arme y échappa et devint une légende très convoitée. Pour quelques sacs d’or, Anyuu le voleur se lance à sa recherche, jusque dans le terrible Désert Rouge…

Le premier récit de Camilia Cherif-Messaoudi nous embarque dans un conte fantastique imprégné du manga, où l’on croise sorcières, esprits et animaux qui parlent. Miloudi Nouiga, lui, propose un découpage proche du storyboard cinématographique agrémenté de cartouches de texte. Il fait la part belle aux plans larges, qui soulignent l’atmosphère. Ses aquarelles tantôt vives, tantôt pastel, contrastent avec les silhouettes dynamiques et mettent en valeur la violence de l’action, la beauté des personnages ou le caractère inquiétant des lieux. Une réussite…

Anyuu, Camilia Chérif-Messaoudi, illustrations de Miloudi Nouiga, Éditions Nouiga, 72 p., 70 DH


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© Portrait d’une famille marocaine, février 1926
© Portrait d’une famille marocaine, février 1926
Amina Benbouchta devant "Forteresse", 2012
Amina Benbouchta devant "Forteresse", 2012
© source AIC Press
© source AIC Press
frydendahl fryd Susama - wonderland
frydendahl fryd Susama - wonderland
(À droite) : Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, A Matrix, 2008 Courtesy MIT Boston & Galerie In Situ - Fabienne Leclerc // (À gauche) : Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Geometry of Space Courtesy Villa Arson & Galerie In Situ - Fabienne Leclerc
(À droite) : Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, A Matrix, 2008 Courtesy MIT Boston & Galerie In Situ - Fabienne Leclerc // (À gauche) : Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Geometry of Space Courtesy Villa Arson & Galerie In Situ - Fabienne Leclerc
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seisme maroc

La rédaction de diptyk se joint aux nombreuses voix endolories pour présenter toutes ses condoléances aux familles des victimes du séisme qui a frappé notre pays.

Nos pensées les accompagnent dans cette terrible épreuve.

Comme tout geste compte, voici une sélection d'associations ou d'initiatives auxquelles vous pouvez apporter votre soutien :