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Séisme : Un monde de l’art plus solidaire que jamais

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Au lendemain du séisme qui a frappé le Haouz le 8 septembre dernier, de nombreuses initiatives ont vu le jour. Un élan qui se poursuit aujourd’hui avec l’exposition-vente « A Drawing for Morocco » qui réunit cette semaine, lors de la manifestation Paris Internationale, les œuvres de 150 artistes internationaux vendues au profit des victimes. Secoués par la catastrophe, artistes, acteurs culturels et institutions se sont très vite posés la question : Comment organiser la solidarité ? Radioscopie de ce milieu de l’art à l’action.

Comme chaque année, septembre occasionne une inflation de l’offre culturelle. La reprise des activités se fait presque dans un climat de rattrapage; après quelques semaines de congés, la réouverture des galeries entraîne un bouchon d’annonces, des calendriers pleins à craquer. Au lendemain du séisme, cependant, les acteurs de la scène ont dû revoir leurs plans. Plusieurs galeries et musées ont reporté à octobre leurs expositions, tant les vernissages festifs paraissaient hors de question à quelques centaines, sinon dizaines de kilomètres de maisons éventrées, de corps embourbés et de terre remuée.

Qu’en est-il de l’art lui-même ? « C’est toujours le moment de l’art », pense Hicham Daoudi, directeur général de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d’art (CMOOA) et du Comptoir des Mines. « C’est toujours le moment de créer, de diffuser des idées et d’accueillir un public. J’espère que des artistes vont intégrer les récents événements dans leurs recherches », dit-il. En revanche, « ce n’est pas le moment d’organiser des événements qui donneraient l’air d’une certaine festivité », reconnaît Hicham Daoudi. En octobre, le Comptoir des Mines amorce le dernier trimestre de l’année avec une exposition de Diadji Diop. Un événement qui devrait se tenir dans une atmosphère de « sobriété, de recueillement et de respect aux victimes », tient-il à mentionner, et dont les revenus devraient alimenter un projet social dans l’une des régions sinistrées.

Projection d’un film dans le village de Toulkine, dans la région d’Al Haouz. © Nabil Qerjij

« Il n’y a pas de meilleur moment qu’une crise pour rappeler pourquoi l’art existe »

« On doit d’abord préciser de quel art on parle », nuance le photographe Mehdi Sefrioui qui rappelle que la même question était posée au moment de la pandémie. « Si on parle d’expositions hors-sol et de vernissages organisés dans l’entre-soi, alors, plus que le moment, l’existence même de cet art-là peut être questionnée, considère le photographe. Mais s’il est question d’art pour partager la résilience, la solidarité, la beauté de ce qui existe dans l’humain, promouvoir la culture et le patrimoine, alors peut-être qu’il n’y a pas de meilleur moment qu’une crise pour rappeler et se rappeler pourquoi l’art existe. L’art au service de la minorité ou l’art au service de la majorité. En règle générale, les deux sont difficilement conciliables. »

« Nous pensons que l’art pourrait avoir son moment, mais pas dans l’immédiat », dit un collectif d’artistes et d’acteurs culturels composé de Nadir Bouhmouch, Soumeya Ait Ahmed, Oumaima Abaraghe, Nabil Enmiry, Youssef Zaoui et Abdelhamid Belahmidi. « Les reports d’événements artistiques étaient une réponse appropriée. Autrement, nous devrions tous nous concentrer sur la manière d’utiliser les connaissances et les ressources dont nous disposons en tant qu’artistes et institutions artistiques pour répondre aux besoins immédiats des communautés touchées. Cela ne nous empêche pas, bien sûr, de prendre note des choses que nous pourrions éventuellement utiliser pour faire de l’art qui peut aider les populations à guérir à long terme. Conserver la mémoire de nos morts, traiter le traumatisme, utiliser notre créativité pour trouver des solutions, divertir ceux qui ont été touchés par cette catastrophe, se souvenir des lieux aimés qui se sont effondrés – tout cela sera important avec le temps. »

Du côté des artistes engagés sur le terrain, la question de la place de l’art ne se pose pas : il peut bien être au cœur de la réponse humanitaire. Pour Nabil Qerjij, parti avec un groupe d’artistes prêter main forte aux habitants de Toulkine, « il faut lancer des initiatives artistiques dans d’autres douars, mais sans trop faire les artistes non plus. On ne vient pas juste ici pour la journée, puis on s’en va. Il faut passer du temps et aider ».

Mehdi Sefrioui, Winter in Ouirgane, 2013, tirage photographique mis en vente par Antidot.ma au profit des victimes du séisme

L’art au défi de la solidarité

Il n’a pas fallu longtemps pour que les premières initiatives de soutien aux sinistrés s’organisent. La plateforme Antidot.ma, spécialisée dans la vente de tirages photographiques en ligne, cofondée par Ghita Lahbabi, directrice du studio de développement Arrêt Sur Image, a lancé une campagne de solidarité avec une vingtaine artistes marocains dont Mous Lamrabet, Khalil Nemmaoui, Mohamed El Baz, Amina Benbouchta et Mehdi Sefrioui. « Chacun de nos tirages d’art (proposés à 1 000 dirhams, ndlr) est une œuvre de compassion, car 100 % des recettes sont dédiées à soutenir les victimes du séisme d’Al Haouz, au Maroc », lit-on sur le site, dont les bénéfices sont reversés à des organisations de la société civile.

Créé à la hâte au lendemain du séisme, le collectif Artists for Morocco a lui aussi lancé une opération de collecte. Dirigé par la rédactrice en chef de GQ Middle East Samira Larouci, le photographe Anass Ouaziz et le designer Ismail Elaaddioui, le site commercialise des tirages de 26 photographes dont Yto Barrada, Hassan Hajjaj et Joseph Ouechen à 125 $. Les revenus alimentent les comptes de deux ONG impliquées dans la solidarité : Amal Women’s Training Center qui, en partenariat avec la World Central Kitchen, a procédé à plusieurs distributions de paniers alimentaires par hélicoptère, et la Rif Tribes Foundation.

Atelier de dessin avec les enfants du village de Toulkine, dans la région d’Al Haouz. © Nabil Qerjij

L’artiste Hassan Hajjaj, lui, a fait don de l’une de ses photos, Love Maroc, qui sera mise en vente par Christie’s en octobre, en marge de la foire 1-54 Londres. Le produit de la vente sera intégralement versé à l’association locale Assafou, qui dispose de onze centres d’éducation et de formation dans la région d’Al Haouz, où le séisme a frappé. Un pourcentage de la vente des tickets de la foire et d’autres marchandises sera également reversé à cette association partenaire.

Des expositions-ventes ont également vu le jour, comme celle du Musée Mohammed VI de Rabat, qui ouvrira au public le 23 octobre et se clôturera par une vente aux enchères le 28. Ou encore celle organisée à l’initiative de Mouna Mekouar, Mustapha Bouhayati, Samy Ghiyati et Nicolas Nahab, du 17 au 22 octobre dans le cadre de la manifestation Paris Internationale.
Intitulée « A Drawing for Morocco », elle réunit les œuvres de 150 artistes internationaux réalisées pour l’occasion et vendues à un tarif unique.

Hasnae El Ouarga, Imlil, 2021, tirage photographique mis en vente par Antidot.ma au profit des victimes du séisme

Penser à la réplique économique

D’autres ont préféré le terrain. Fort d’un travail de plusieurs années dans les montagnes de l’Atlas, le collectif formé par Nadir Bouhmouch et Soumeya Ait Ahmed a focalisé ses efforts sur un angle mort de la solidarité : l’alimentation du bétail. « Lors du tremblement de terre, outre le bétail mort, une grande partie de l’alimentation a été ensevelie sous les décombres ; tout ce que les habitants ont économisé et stocké pendant des mois pour nourrir leur bétail pendant l’hiver, quand il n’y a pas d’herbe et que les pâturages sont recouverts de neige. Aujourd’hui, faute de pouvoir les nourrir, certaines victimes du tremblement de terre nous disent qu’elles sont obligées de vendre leur bétail. Il s’agit d’une “réplique économique” qui vient s’ajouter à la catastrophe naturelle et infrastructurelle », décrit le collectif.

Ces artistes soulignent également combien les ânes et mules s’avèreront essentiels dans les mois à venir dans les zones difficiles d’accès, « pour transporter les matériaux de construction, reconstruire les terrasses agricoles et les canaux d’irrigation, labourer la terre à nouveau ». « En nous concentrant sur les besoins immédiats en aliments pour le bétail, nous pourrions aider les communautés touchées à se rétablir économiquement sur le long terme. Jusqu’à présent, nous n’avons distribué que 10 tonnes, mais quand on fait le calcul, la quantité nécessaire est énorme. Un seul village de 50 maisons aurait besoin de 20 tonnes  ! » Outre l’alimentation du bétail, le collectif plaide auprès d’associations engagées sur le terrain pour la reconstruction des puits et des canaux d’irrigation effondrés, ainsi que pour restaurer le stock de céréales, renouveler le cheptel d’animaux qui sont morts et remplacer les outils agricoles et artisanaux qui ont pu être perdus dans les décombres.

Hassan Hajjaj, Love Maroc, 2010, tirage chromogénique sur papier Fuji Crystal, 111,8 x 76,2 cm © Hassan Hajjaj. Tirage n° 5/7, vendu par Christie’s Londres au profit de l’association Assafou pour venir en aide aux populations sinistrées d’Al Haouz.

Ateliers de dessin à côté de la mosquée

Certains artistes ont décidé de se rendre directement au chevet des sinistrés. C’est le cas de Nabil Qerjij, Simo Makboul, Oups, Disco Atlas, Jalal Yassine, Salim Ammor, Trick54 Grocco, Rachid Ihya et Marouane Charaf. Suite au séisme, raconte Nabil Qerjij, « j’étais un petit peu perdu. Je ne savais pas ce que je pouvais faire. Je voyais des dons, je voyais des expéditions. Je suis quelqu’un du terrain. J’ai préféré me rendre sur place avec un petit groupe. Avant de prendre la route, je savais que les gens allaient avoir suffisamment de nourriture, de vêtements et d’équipement, mais qu’en revanche, ils allaient avoir besoin de petites mains qui les aident à reconstruire. J’ai donc pris perceuse, tournevis et outillage ». Avant de quitter son domicile, toutefois, il marque un moment d’arrêt. « Je me suis dit que ce serait dommage de partir juste avec ça. J’ai donc emmené un autre outil, un outil d’art : un petit projecteur vidéo. »

Arrivés à Toulkine, dans la région d’Amizmiz, Nabil et son groupe identifient les besoins primordiaux. « On a installé des toilettes, une cuisine collective et on a aidé à raccorder les tentes à l’électricité », relate Nabil. Ils réalisent qu’autour d’eux, des enfants déscolarisés passent la journée dehors, sans grand-chose à faire. Une projection est organisée en plein air.

Nabil reconnaît que beaucoup de questionnements ont précédé cette décision. « On se demandait si c’était une bonne idée d’amener du divertissement dans un lieu encore marqué par le choc », se rappelle-t-il. Le groupe prend l’avis des aînés du village, qui donnent leur aval. Malgré cette assurance, « au début, on n’était pas très serein. Il n’y avait pas énormément de monde. Au bout de la première heure, beaucoup de gens se sont joints au public. On était tous ensemble, c’était magnifique. Ça m’a rappelé la vocation première du cinéma ».

Un espace destiné à accueillir des ateliers d’art est installé dans la foulée. « Vu qu’on avait aidé à aménager un espace de prière, on s’est dit qu’il y avait beaucoup de superficie et de tapis. » Le groupe espère obtenir une petite concession. Il s’adresse au fqih. « On a demandé sa permission pour installer notre aire culturelle à côté de l’espace de prière. Il était très heureux et nous a encouragés. Ça nous a beaucoup touchés », dit Nabil.

Yoriyas, When the time stops and the pain starts, région d’Ighrem, septembre 2023. © Yoriyas

Un douar « sous les pierres »

Les ateliers d’art sont alors lancés. Des cours de dessin, d’aquarelle, de peinture et de collage sont programmés, et dès le matin « les enfants viennent demander quand se tient l’activité », atteste Trick54. « Les enfants se montrent très enthousiastes. Ils sont excités, dessinent ce qu’ils veulent. On entre dans leur bulle. Une énergie extraordinaire. On leur donne ensuite des packs à garder pour eux, car le but n’est pas de créer le besoin et qu’ils se retrouvent en manque, mais que chacun ait de quoi mener son activité », dit Trick54, qui a animé une session de peinture sur pierre. « On a voulu travailler sur ce thème vu qu’un douar avoisinant, que nous avons visité, s’appelle douar Douzrou, qui signifie “sous les pierres”. Le thème de la pierre est également en rapport avec le séisme. On a ensuite regroupé les pierres peintes pour les déposer dans un mémorial. »

Simo Makboul, lui, a dirigé une initiation au cirque et au jonglage, tandis que Jalal Yassine a animé un atelier de retrogaming et de composition de musique sur Gameboy. Un parc de jeux est rapidement construit, avec le soutien de volontaires qui ont aidé à installer une balançoire, un jeu à bascule… L’écho de l’initiative dépasse le seul village de Toulkine. « Des enfants qui ont entendu parler de l’atelier ont fait deux heures de route avec leurs parents. Malheureusement, à leur arrivée, l’atelier avait déjà pris fin. Ils nous ont demandé des crayons et du papier avant de reprendre le chemin du retour », témoigne Nabil.

« C’est une expérience presque spirituelle. Il y a beaucoup d’action, de travail. C’est très bien organisé ici. Tout le monde est discipliné et motivé. Je suis un artiste de rue. Je travaille sur la mémoire, l’oubli, tout ce qui est marginalisé. Je travaille aussi sur l’altérité et sur la nécessité pour l’artiste de se débarrasser de son ego. Mon travail se situe entre art et médiation. Je vais vers la rencontre. On travaille de façon très ouverte avec les enfants, sans sentiment de supériorité, sans l’illusion de les sortir d’un traumatisme ou de leur ouvrir les yeux. On est là pour la rencontre. On est artiste sans être artiste. On est là pour partager », conclut Trick54.

Par Reda Zaireg

Vue de l'expo-vente "A Drawing for Morocco" ouverte le 17 octobre pendant la manifestation Paris International.

1 Commentaire

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