Beaux-Arts de Tétouan : la performance et l’art textile font une percée

Share

Comme chaque début d’été, diptyk part en reportage à Tétouan rencontrer les étudiants de l’INBA pour leur soutenance de fin d’études. Une occasion de sonder la nouvelle génération d’artistes et d’inaugurer, cette année, notre incubateur de jeunes plumes. Nous avons donc confié à Insaf Benali, étudiante en 3e année et photographe prometteuse, la couverture de ce rite de passage. Performance, installation, textile, la promotion 2023 n’échappe pas, nous explique notre auteure, aux grandes tendances de l’art mondial. Et c’est tant mieux! 

Nous sommes début juillet et à Tétouan, c’est le rendez-vous annuel tant attendu par les étudiants de l’Institut National des Beaux-arts. Cette année, une dizaine d’entre eux s’apprêtent à couronner 4 ans d’apprentissage, de recherches et d’expérimentation. Quels choix et quelle vision de l’art cette promotion 2023 propose-t-elle ?

Cette année, la performance s’invite à l’INBA avec Mouna Ahizoune qui aborde le corps comme support, médium et sujet. S’inspirant de la tragédie antique, la jeune artiste en propose une version contemporaine. Elle se met en scène et interroge la notion d’absurdité comme dans cette performance où elle recueille inlassablement l’eau de la mer. Mouna Ahizoune fait ainsi référence à Sisyphe, condamné à faire rouler éternellement un énorme rocher jusqu’au sommet d’une montagne, qui finit toujours par redescendre.

Consciente de l’importance de cette forme d’art qu’est la performance (encore sous-représentée au Maroc ), Ahizoune décide de la placer au cœur de son projet. « Après des années de pratiques théâtrales, partir de mon propre corps pour exprimer ce qui occupait mon intérieur est devenu pour moi non seulement une habitude mais aussi un besoin urgent, une nécessité explique-t-elle, avoir recours à la performance était donc inévitable.»

Mouna Ahizoune lors de la préparation de sa soutenance. crédit photo : Insaf Benali

Le corps, matière première

Aux côtés de la performance, la tendance actuelle pour l’art textile vient également marquer sa présence avec Ilham Alami qui donne forme à des figures et corps féminins en entremêlant broderie et soft sculpture réalisées à base de laine, coton et chutes de tissus. Une certaine souffrance se dégage de cet ensemble dans l’usage de textures irrégulières mais aussi dans les expressions contractées de ces visages et dans les postures de ces corps esquissés.

Le corps est assurément une matière à réflexion pour nombre d’étudiants. Sur le thème de la métamorphose de soi, Yasmine Elharizi nous invite à réfléchir aux changements significatifs que l’homme subit tout au long de sa vie. Son installation Biomorphisme, une animation hologramme 3D projetée sur plexiglass, fusionne corps humain et racines, clin d’oeil peut-être au personnage de Kafka dans « La métamorphose ».

Projet de fin d'étude de Salma Ahddad qui utilise son expérience d’usager du bus no 19 - qu’elle fréquente quotidiennement - pour en extraire diverses métaphores. Crédit photo : Insaf Benali.

Partir de son vécu

Partir de son vécu s’avère parfois nécessaire pour aborder des sujets universels. C’est le cas de Salma Ahddad qui utilise son expérience d’usager du bus no 19 – qu’elle fréquente quotidiennement – pour en extraire diverses métaphores. Dans ses installations et dessins, il nous semble qu’elle présente une miniature de la société et le récit d’un vécu partagé avec les passagers qu’elle représente comme un ensemble de formes entravées dans un espace clos rectangulaire, suscitant des sensations d’inconfort, d’étouffement voire de vertige. Sensations que l’on ressent généralement dans les bus surchargés de la ville.

On retrouve également ce souci d’une prise avec le réel chez Zineb Bouchra qui mène une investigation approfondie et assez personnelle autour du séisme qui a frappé sa ville d’origine Agadir en 1960, se lançant dans une exploration sur l’esthétique de la catastrophe. Au sein de ses peintures et images graphiques, la jeune artiste n’hésite pas à épuiser le motif de la pierre et à mettre l’accent, au sein de ses compositions, sur le chaos, la destruction et les effets désastreux du séisme.

Comme en contre-pied, le jeune Tétouanais Houssam El Ghallal choisit de créer, lui, un monde merveilleux dans lequel triomphe son personnage Hmama, une créature hybride mi-homme mi-oiseau qui naît de sa fascination par l’emblème de sa ville natale : la colombe. Dans ses peintures éclatantes, on décèle les influences de l’univers magique de Miyazaki ou encore celles de Murakami. Cette présence de la colombe peut également rappeler l’œuvre de Ben Yessef, Tétouanais de naissance aussi.

Comment représenter l’ordinaire ? Imane Laaribi propose une série de 30 peintures représentant un objet du quotidien, un porte brosse à dents. Crédit photo : Insaf Benali.

Le parti pris des choses 

Comment représenter l’ordinaire ? Le travail qui nous a le plus captivé de Imane Laaribi se decline en une série de 30 peintures – en référence au nombre de jours dans un mois –  représentant un objet du quotidien, un porte brosse à dents. Au fur et à mesure, d’une peinture à l’autre, la palette de couleur s’obscurcit jusqu’à effacement du motif.

Tout comme Hamza Baroudi qui explore toutes les facettes de l’illusion à travers ses installations,  Manal Boulafssahi opte pour une démarche intuitive et surtout expérimentale. Elle attaque le motif, le décoratif et s’immerge dans un univers botanique et floral dont certains dessins et peintures rappellent un Cy Twombly ou encore Amina Benbouchta.

Tous les étudiants de cette promotion 2023 sont repartis avec le précieux sésame de fin d’études.

Insaf Benali

Dans l'atelier de dessin avec Zineb Bouchra. Crédit photo : E.0.
Vue de l'installation de Zineb Bouchra autour du séisme qui toucha sa ville natale, Agadir, en 1960. Crédit photo : Insaf Benali.
Vue d'une oeuvre de Hamza Baroudi, fasciné par l'Op Art.
Détail de l'oeuvre de Hamza Baroudi. Crédit photo : E.O.
Houssam El Ghallal choisit de créer un monde merveilleux dans lequel triomphe son personnage Hmama, une créature hybride mi-homme, mi-colombe. Crédit photo : Insaf Benali.
Détail d'une peinture de Houssam El Ghallal. Crédit photo : Insaf Benali.
a tendance actuelle pour l’art textile vient également marquer sa présence avec Ilham Alami qui donne forme à des figures et corps féminins en entremêlant broderie et soft sculpture. Crédit photo : Insaf Benali.
Sur le thème de la métamorphose de soi, Yasmine Lahrizi nous invite à réfléchir aux changements significatifs que l’homme subit tout au long de sa vie. Crédit photo : E.O.
Manal Boulafssahi opte, quant à elle, pour une démarche plus intuitive et surtout expérimentale. Elle attaque le motif, le décoratif. Crédit photo : E.O.

1 Comment

Registro avril 17, 2024 - 7:26 pm

Thank you for your sharing. I am worried that I lack creative ideas. It is your article that makes me full of hope. Thank you. But, I have a question, can you help me?

Post Comment