Taper pour chercher

ARCOlisboa se met à l’heure africaine

Partager

Pour sa quatrième édition, la bouture lisboète d’ARCO Madrid réunissait 71 galeries  de 17 pays, majoritairement portugaises et espagnoles. Cette année, la foire s’est ouverte  aux galeries du continent africain avec un focus curaté par Paula Nascimento.

Stacey Gilliam Abe, Indigogo 3, 2018. Courtesy de l’artiste et Afriart Gallery, Kampala

C’est dans une ancienne usine de cordages de la marine portugaise, au bord de l’embouchure du Tage à Belem, que se tient ARCOlisboa depuis 2016. Comme l’explique sa directrice Maribel López, «  ARCOlisboa est née au bon moment, lorsque Lisbonne est devenue une destination incontournable. De plus en plus de gens la choisissent comme lieu de résidence secondaire, elle compte certains des meilleurs artistes du monde et accueille des visiteurs à fort pouvoir d’achat. »  La foire lisboète, qui séduit de plus en plus, a attiré l’année dernière quelque 11 000 visiteurs dont de nombreux  collectionneurs, directeurs de musées, de biennales, conservateurs et autres professionnels de l’art. « Le Portugal est  actuellement l’un des lieux culturels les plus attrayants,  avec un marché de plus en plus dynamique, ce qui contribue à augmenter la valeur de l’art portugais », commente Maribel López. Si de nombreuses galeries ont ouvert depuis la création de la foire, le marché est pour le moment plus tourné vers les acheteurs étrangers que locaux.

John Baptist Ssekubulwa, New scramble and partition for motherland, 2018, huile sur toile, 140x150cm. Courtesy de l’artiste et Afriart Gallery, Kampala

« Faire face à l’héritage colonial »

La dernière édition d’ARCOlisboa a réuni les plus grandes galeries portugaises comme Filomena Soares ou Cristina Guerra, des galeries espagnoles comme Sabrina Amrani, ou encore Pietro Sparta (France), Cassina Projects (Etats-Unis), BWA WARSZAWA (Pologne), Luciana Caravelo (Brésil), Zilbermann Gallery (Turquie/Allemagne). Profitant de la position internationale unique du Portugal au carrefour de l’Afrique et de l’Europe, ARCOlisboa ambitionne de s’imposer comme un lieu majeur du marché de l’art tourné vers les deux continents. « Africa em Foco », le focus sur l’Afrique, a été confié à Paula Nascimento dont le travail de commissaire et architecte en Angola comme au Portugal est très respecté. Elle a notamment collaboré au pavillon angolais de l’Expo Milano 2015 et est membre fondateur du collectif Pés Descalços qui développe à Luanda des projets culturels. On ne peut s’empêcher de penser qu’un focus sur un continent est toujours étrange et qu’il serait certainement plus approprié de faire un focus sur un pays, mais c’est déjà un premier pas pour le Portugal où la discussion sur la décolonisation des arts ne fait que commencer. « C’est  seulement maintenant que des historiens et des artistes contestent le récit du « bon colonisateur ».

René Tavares, Air Migration Privé, 2019, huile sur toile, 180 x 150 cm. Courtesy de l’artiste et Movart Gallery

Il est impératif que ce débat ait lieu dans la sphère publique, de manière beaucoup plus directe et transparente. L’art est peut-être un excellent moyen de faire face à ce passé, mais il faut aussi faire face à cet héritage colonial, non seulement au Portugal, mais dans les pays du continent. En Angola, par exemple, ce problème est glissé sous le tapis », déclare Paula Nascimento. La commissaire a donc pensé ce focus en ne se limitant pas aux seuls pays lusophones. Elle a invité des galeries de différents pays du continent : Afriart (Ouganda), Gallery Momo (Afrique du sud), Arte D’Gema (Mozambique), ainsi que This is Not a White Cube,  Movart et Jahmek (toutes les trois d’Angola). Paula Nascimento a imaginé aussi un cycle de discussions auquel le public a répondu présent avec, entre autres, Raphael Chikwkwa de la Galerie nationale / Pavillon du Zimbabwe, Azu Ngagbogu de Lagos photo/ Zeitz Moca et Marie-Helène Pereira du centre d’art Raw Material à Dakar.

Mário Macilau, Net Fishing, 2018, tirage sur papier Hahnemuhle, 80 cm x 120 cm. Courtesy de l’artiste et Movart Gallery

« Ils sont là pour rester »

Les galeristes du continent ont parié sur des projets et artistes audacieux pour séduire le public. Ce qui a d’ailleurs valu à la galerie Jahmek Contemporary Art de Luanda  de remporter le prix « prémio opening » qui récompense une galerie de moins de 7 ans pour l’originalité de son stand. Une distinction forte pour cette enseigne angolaise qui ouvrait il y a tout juste un an. Elle présentait une installation de Tiago Borges,  C.o.n.s.t.r.u.c.t.i.o.n. Un travail de déconstruction de l’histoire nationale : que seraient l’Angola ou l’Afrique débarrassés de leurs « archétypes ratés, ennuyeux et mous » ?  Certaines galeries comme Narrative project (Londres), ont  profité de ce focus pour présenter des œuvres collaboratives comme ce travail autour du passé colonial réalisé par le Portugais Carlos Noronha Feio et l’Angolais Délio Jasse. Le duo avait conçu une installation composée  notamment de collages mélangeant archives coloniales et citations de Castro Soromenho (1910 – 1968), écrivain et grand-oncle de Carlos Noronha Feio, connu pour ses positions anti-coloniales et ses critiques envers la dictature de Salazar.

Ce premier pas au Portugal a illustré la réceptivité du marché et des collectionneurs avec des belles ventes pour les galeries du continent.  De grandes institutions comme le comité d’acquisition pour l’Afrique de la Tate Modern ont répondu présent. « Pour nous, c’était incroyable à tous points de vue. Les gens étaient vraiment attirés et intéressés par ce que nous avons présenté.  La galerie a pris quelques risques en présentant de grandes pièces et pourtant nous avons vendu 80% de notre stand », nous racontait Sonia Ribeiro de This is not a white cube. Cette galerie de Luanda présentait des artistes du Mozambique, avec les masques de Gonçalo Mabunda,  d’Angola avec les grandes installations photographiques de Januário Jano et Cristiano Mangovo et de la République Démocratique du Congo avec Patrick Bongoy. « Leurs pièces insistaient sur le fait que les artistes contemporains de pays africains participent à ce dialogue mondial et qu’ils sont là pour rester », ajoute Sonia Ribeiro. L’avenir dira si ce pont artistique se pérennisera. De quoi répondre aux articles de presse portugais, qui  titraient « l’Afrique est à la mode », que l’art, les artistes et les galeries du continent ne sont plus à envisager comme un focus mais font partie intégrante d’un marché réellement mondial.

 

ARCOlisboa, Cordoaria Nacional, Lisbonne, 16-19 mai 2019

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *

x
seisme maroc

La rédaction de diptyk se joint aux nombreuses voix endolories pour présenter toutes ses condoléances aux familles des victimes du séisme qui a frappé notre pays.

Nos pensées les accompagnent dans cette terrible épreuve.

Comme tout geste compte, voici une sélection d'associations ou d'initiatives auxquelles vous pouvez apporter votre soutien :