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[ Biennale de Marrakech ] Visite de la programmation principale : Reem Fadda trouve enfin la formule mathématique de la biennale de Marrakech !

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Une fois n'est pas coutume, diptyk s’apprête à grignoter son chapeau… Et l’exercice ne sera pas forcement désagréable. La biennale de Marrakech, nous l’avons toujours soutenue, à notre manière, en la soumettant à des questions critiques et non à la complaisance.
 

Alors après visite partielle de l’exposition (toujours en cours d’installation au moment où vous lisez ce texte), et à l'épreuve des faits et du réel, nous vous livrons une lecture enthousiaste de cette édition, qui semble bien devoir nous faire mentir !

Sur le titre de l’exposition d’abord, « not new now », ou « rien de neuf pour le moment » (la traduction officielle étant « quoi de neuf là » pour rappel).

Les propos de Reem Fadda, commissaire de cette édition, s’éclairent enfin…

Pourquoi ? Sur l’accrochage des « Modernes » et de « l’école de casa », la réponse est d’une insolente pertinence. Nous avions douté de l’accrochage muraliste qui risquait de diluer le caractère populaire du manifeste en plein air de 1969. Devant l’éblouissante mise en scène des œuvres d‘époque du trio Mohamed Chebâa/Farid Belkahia/Mohamed Melehi, l’évidence saute aux yeux…

Au milieu du sublime Palais de la Bahia, on comprend mieux que les formes développées par ces artistes avant-gardistes de la réappropriation locale dans un mouvement moderne, étaient alors une réponse qui demeure d'une acuité troublante. Ici, on comprend enfin que leurs œuvres n'avaient jamais été pensées, conçues pour les white cube des grands musées où on les retrouve aujourd'hui, mais pour Marrakech, le Maroc. Le lieu où elles sont nées et dont elles sont nées. C'était valable hier, en 1969, sur la place Jamaâ el Fna c'est troublant ou réconfortant de voir que cela n'a rien perdu de sa puissance aujourd'hui…

Le « rien de neuf pour le moment »  de Reem Fadda devient alors évident…

On comprend aussi que pour habiter les lieux patrimoniaux et chargés de la ville, il ne fallait pas aller chercher bien loin des œuvres qui sous nos yeux depuis toujours avaient murement réfléchi la question…

De même, les artistes marocains les plus contemporains de la biennale, emmenés par la proposition d’Omar Berrada sur une réactivation du passé est un petit bijou.

C’est une expo dans l'expo, on entre dans un pavillon entièrement dédié à cette proposition par la Bibliothèque du cinéaste écrivain Ahmed Bouanani reconstituée pour l'occasion, le but étant de découvrir quelqu’un par ce qu'il lit, l'une des façons les plus sensibles et les plus intimes selon Omar Berrada. On y découvre ensuite pour la première fois le travail de Sara Ouhaddou, d’une grande délicatesse, inspiré d’un conte traditionnel et de la collection de bijoux du cinéaste. Le travail d’Yto Barrada potentielle lauréate du Prix Marcel Duchamp est dans la lignée du grand corpus autour du textile et des travaux de couture qu’elle mûrit depuis quelques années… Enfin le travail de Mohssin Harraki, que l’on retrouve, discret et loin des foules, épuisé par des contraintes techniques complexes, est évidemment grandiose. Ses formes rhizomiques puisées dans le langage des arbres généalogiques, son langage de prédilection, étend ici ses tentacules à l‘échelle d’une pièce entière. Evidemment que devant l’exigence de ce travail pour lequel il était assisté par l’artiste Mohamed El Mahdaoui, venu de Tiznit pour l’occasion, une réelle prouesse technique au-delà de la beauté formelle nécessite un peu de patience technologique…


Les artistes internationaux, dont on verra les œuvres pour la première fois au Maroc…

Il reste à trancher cette querelle des anciens et des modernes : doit-on importer des pièces fortes pour satisfaire le public d'un pays où l'histoire de l'art n'existe pas et où un cours de rattrapage peut s'avérer nécessaire… Etrangement, la réponse du juste milieu de Reem s'avère satisfaisante: en cumulant pièces historiques ou récentes et emblématiques et en opérant la même stratégie dans ses choix marocains avec en plus une forme de synthèse grâce à des artistes comme Megumi Matsubara ou Eric Van Hove (dont les travaux ont atteint un nouveau degré de sophistication, de par une connaissance de plus en plus acéré de leur pays d’adoption et ses enjeux, et une certaine rigueur acquise lors de leurs parcours antérieurs) venus de loin pour de précédentes biennales, mais finalement ancrés sincèrement, depuis au Maroc par leurs travaux et leur vie personnelle permet un dosage juste, une fois n'est pas coutume de la composition efficace que pourrait être le choix éditorial de cette biennale marrakchi.

Une question demeure, le public sera-t-il au rendez vous ? là encore nous pouvons saluer une grande justesse dans les choix autant stratégiques qu’esthétiques de Reem Fadda et son équipe: en ouvrant des espaces habituellement clos aux publics et parmi les plus intéressants de la Bahia (Harem, Hammam) au public par les œuvres qu'elle propose: l'engagement du public sera forcément assuré…

A la Bahia, le harem est ouvert pour la première fois: il n’est visible que grâce à la biennale, il a pu être aussi entièrement habité par les œuvres puisque c’est du sur-mesure et l’influence espace/œuvre est réciproque… 

Au Badii: la présence d'œuvres monumentales, El Anatsui, Fatiha Zemmouri, Rachid Koraichi occupent l'espace, grandioses, là encore le public ne peut pas les manquer et elles lui permettent une relecture d'un lieu qui semblait pourtant balisé…

Enfin, si l’on avait déploré la faible présence d'artistes africains (nous parlons ici des artistes non marocains), et un faible nombre d'artistes plus généralement, là encore Reem Fadda et ses équipes s'en sortent avec brio en donnant de l'amplitude à des pièces fortes: l'œuvre de la Sud africaine Dineo Seshee Bopape occupe un pavillon entier (comme la plupart des artistes). Et si l’on est moins sensible, cette fois-ci au premier regard, à ces installations de gravats, hermétiques au premier abord (voir aussi Oscar Murillo), et qui nécessitent quelques sous-titres, on est tout de même sensible aux propos de l'artiste qui donne corps à un chant contestataire sud africain qui se demandait au milieu de l'apartheid et du panafricanisme, à qui appartenait la terre, une question qui se pose "Du Cap au Caire, du Maroc à Madagascar" (selon les paroles de la chanson). Si l'artiste a atténué la portée quasi guerrière du chant en couvrant les murs de fleurs, sa subversion est plus discrète : parmi les échantillons de terre glanés dans les pays cités dans l'hymne qui l'inspire, elle a glissé un peu de terre algérienne…

Plus touchant : elle complète son installation devant nos yeux… En y ajoutant la dernière pièce maîtresse apportée par Yves Chatap (co commissaire de Bamako) : un flacon de terre de Madagascar prélevé il y a une dizaine d'années par l'artiste Malala Andrialavidrazana (voir diptyk 31) à Madagascar…

Alors il reste la question en forme de pique que nous posions dans diptyk, sur l'aspect politique de la biennale… La question est difficile à trancher.

Si diptyk a davantage été sensible aux œuvres poétiques (Le curating autour de l’œuvre d’Ahmed Bouanani, ou la performance « dansée » de Megumi Matsubara qui nous entraine dans les prisons du Badii et nous en permet une visite et donc une redécouverte (par tous les sens) où l‘engagement du public est obligatoire…) il semble que le public de jeunes Marocains qui n'a pas encore fait le deuil d'un 20 février décevant et du rêve d'un engagement politique qui soit enfin entendu y a été très sensible hier…

Reem Fadda et ses équipes auraient-elles enfin trouvé la formule mathématique cohérente et logique d'un problème sur lequel ses prédécesseurs avaient pour l'instant tous buté ?

par Syham Weigant 

Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Vernissage de l'exposition de Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Vernissage de l'exposition de Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Vernissage de l'exposition de Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Vernissage de l'exposition de Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Vernissage de l'exposition de Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Vernissage de l'exposition de Mounir Fatmi, « Darkening Process », MMP, Palais Badii, jusqu’au 30 mai 2016.
Fragments de mon être, 2017. Photographie numérique. © Abderrahmane Doukkane
Fragments de mon être, 2017. Photographie numérique. © Abderrahmane Doukkane
Sara Ouhaddou au Palais Bahia, en résidence à Dar Al Mamoun
Sara Ouhaddou au Palais Bahia, en résidence à Dar Al Mamoun
Mohssine Harraki au Palais Bahia
Mohssine Harraki au Palais Bahia
Dineo Seshee Bopapé Au fin fond de la Bahia, dans la dernière cour du palais, ne ratez par l’installation de cette artiste Sud-Africaine.
Dineo Seshee Bopapé Au fin fond de la Bahia, dans la dernière cour du palais, ne ratez par l’installation de cette artiste Sud-Africaine.
Chambre de la douiria du Derb El Hammam. Copyright Maison de la Photographie, Marrakech
Chambre de la douiria du Derb El Hammam. Copyright Maison de la Photographie, Marrakech
Dineo Seshee Bopapé à Marrakech lors de la première semaine d'inauguration de la Biennale
Dineo Seshee Bopapé à Marrakech lors de la première semaine d'inauguration de la Biennale
Une oeuvre de Fatiha Zemmouri au Palais Badii
Une oeuvre de Fatiha Zemmouri au Palais Badii
L’ombre qui se fond dans la peinture est suffisamment précise pour ne pas perdre totalement son identité
L’ombre qui se fond dans la peinture est suffisamment précise pour ne pas perdre totalement son identité
Ulrike Weiss, Disparaître, 2016 installation dessins en encre de Chine sur papier calque, imprimés sur gaze, mesures variables
Ulrike Weiss, Disparaître, 2016 installation dessins en encre de Chine sur papier calque, imprimés sur gaze, mesures variables
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seisme maroc

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