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Dans l’atelier de Hassan Bourkia

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Nous rencontrons chez lui l’artiste Hassan Bourkia, homme de lettres, ivre de poésie et arpenteur du monde. Un moment hors du temps, animé par l’esprit des écrivains qui peuplent les étagères de son atelier.

En nous ouvrant les portes de son atelier, Hassan Bourkia lève le voile sur ce qu’il a de plus intime ; et l’intime est ce que nous avons de plus précieux à partager. Comme toute rencontre, celle-ci débute par des préliminaires. Une discussion littéraire autour d’un café où l’on se demande, en souvenir de Beckett, si commencer, c’est « rater mieux ». Un repas pris en commun sur la route de l’Ourika qui mène au douar de Aït Bounnit (« Les gens de la foi »), situé à une vingtaine de kilomètres de Marrakech. C’est là que se trouvent les deux ateliers de l’artiste. L’un est situé dans sa demeure personnelle, où se travaillent les petits formats, l’autre quelques kilomètres plus loin, où s’élaborent, dans un patio protégé par un oranger, de plus grands formats.

Ces deux espaces donnent peut-être la clé d’une oeuvre en constante gestation. Ils sont à la mesure du monde que cet homme, épris de littérature, traducteur en arabe de Nietzsche, Paul Ricoeur, Edmond Amran El Maleh, Abdellatif Laâbi ou de Rilke, ne cesse de parcourir.

© Nabil Boudarqa

Depuis sa participation à un symposium international en 2008, il se rend régulièrement en Jordanie où il expose dans plusieurs galeries. Il a également participé à la première foire d’art d’Amman en 2020. La même année, suite à son exposition « Au nom des miens » présentée par Le Comptoir des Mines de Marrakech, Hassan Bourkia exposait à la Bienalsur de Buenos Aires, aux côtés de Mohamed Arejdal, Pistoletto ou Boltanski, et à la galerie Karla Osario de Brasília. Les musées nationaux d’art moderne de São Paulo et de Brasilia ont d’ailleurs tous les deux fait entrer l’une de ses oeuvres dans leur collection.

Nomade à sa façon, Hassan Bourkia est tout d’abord l’homme des arrachements, des séparations; à l’image d’Ulysse, le héros de l’Odyssée qui ne cesse de naviguer de Charybde en Scylla. Ainsi débute peut-être la vie, par une expulsion brutale que l’on appelle, par euphémisme, naissance. « Tout commence, nous confie-t-il énigmatiquement, par l’esprit d’une chose à effacer. » Et d’appuyer son propos en évoquant le vol des oiseaux détruisant leur nid « pour aller ailleurs, dans l’ouvert ». À écouter cet homme épris de poésie, on songe souvent à la phrase de Mallarmé : « La destruction fut ma Béatrice », tant il semble qu’il s’agit pour lui moins de dupliquer le réel que de le faire imploser de l’intérieur. « Il faut être un conquérant : détruire ! », assène-t-il.

© Nabil Boudarqa

L’atelier des âmes

En observant les oeuvres en cours de réalisation qui jalonnent son atelier – étagères recouvertes de poussière ou de cendre, boîtes aux lettres calcinées ou rongées par la rouille, semelle d’espadrille colonisée par un amoncellement d’escargots fossilisés –, on comprend que l’artiste commence d’abord par détruire les codes et les matériaux du langage pictural qu’il a longtemps pratiqué en autodidacte. Abandonnés les pigments, le dessin, la couleur ; à l’exception du gris.

Il s’agit de convoquer ce qu’il y a de plus friable et volatile : ces matériaux tels que la terre, la poussière, la cendre, qui se rapprochent peut-être le plus de ce que serait la nature des choses, pour parler comme Lucrèce, ou de l’âme pour paraphraser François Cheng dont Hassan Bourkia admire le travail poétique et calligraphique. « Je fais partie de ces gens expérimentalistes parmi lesquels se rencontrent les écrivains, les peintres et les poètes, qui sont persuadés que les choses que l’on touche finissent par vieillir, commente-t-il. Il faut s’efforcer d’aller alors au-delà des choses et de soi-même », dans un va-et-vient continu entre l’écriture et la peinture, et un élan commun de l’âme et du corps.

© Nabil Boudarqa

L’âme, on la retrouve dans le principal atelier de l’artiste, à travers les fantômes de tous ces écrivains dont la présence se manifeste d’abord par l’imposante bibliothèque située dans le fond d’une longue pièce silencieuse.«Mon atelier appartient aux âmes », nous confie-t-il, ajoutant se trouver grâce à lui « au centre du monde ».

Chez cet homme, grand ami d’Edmond Amran El Maleh qu’il décrit comme « le père spirituel de l’art moderne marocain », la lecture n’est nullement un passe-temps ; elle est bien plutôt la plus fidèle des amantes. En témoigne une installation monumentale en cours de réalisation intitulée Hôpital des âmes,  constituée d’un assemblage d’étagères sur lesquelles trônent des livres recouverts de poussière, entourés çà et là de bustes ou de bras recouverts d’un bandage chirurgical à partir desquels pendent dans le vide des perfuseurs à sérum. « Il n’y a plus de connexion entre le corps et le livre, commente Hassan Bourkia. Même le sérum n’existe plus. Tout ce qui existe aujourd’hui est malade. »

© Nabil Boudarqa

Cette oeuvre en cours d’achèvement pourrait évoquer ce vers du poète allemand Rilke, qu’affectionne particulièrement l’artiste, selon lequel toute beauté est toujours « le commencement du terrible ». Conçue dans la durée – plusieurs années président chez Bourkia à l’accomplissement d’une oeuvre –, cette installation n’attend que d’être aspergée de cendre pour se mesurer, dans cet acte d’effacement paradoxal, à l’infini de la création.

Cet infini vers lequel semblent tendre d’autres travaux en cours, prenant ici une forme foetale ou ailleurs celle d’un sexe féminin, comme si l’art n’avait pour seule raison d’être que de se confronter au mystère même de la naissance et du Temps. Insondable énigme sur laquelle se referment les portes d’un atelier que l’on aimerait qualifier de cosmique. La vraie vie est ailleurs, sans doute, mais elle est aussi ici-bas.

Olivier Rachet

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1 Commentaire

  1. criar conta na binance mars 29, 2024

    Your point of view caught my eye and was very interesting. Thanks. I have a question for you.

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