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Le marché ralentit mais il va bien !

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Des transactions en hausse et un produit en baisse : le marché de l’art international a souffert en 2023 d’un manque d’énergie sur le segment haut de gamme. Mais derrière ce ralentissement prévisible, le monde des enchères affiche de nombreuses raisons de se réjouir. À commencer par une visibilité accrue des artistes féminines.

En 2023, le produit des ventes mondial a fléchi de 14 % comparé à l’exercice précédent. Derrière cette baisse, deux milliards et demi manquent par rapport à l’excellent cru de 2022, porté à la fois par un formidable rattrapage du marché à l’ère post-Covid et par l’arrivée aux enchères de collections privées de tout premier ordre. Rappelons en effet, afin de relativiser ce ralentissement, que les trois collections les plus exceptionnelles dispersées en 2022 – celles de Paul Allen (1,621 milliard $), d’Anne Bass (363 millions $) et de Doris et Thomas Ammann (413,8 millions $) – avaient rapporté à elles seules 2,4 milliards de dollars, soit peu ou prou la somme manquant au résultat de l’année 2023.

En rassemblant des œuvres rares dont la singularité et la valeur constituent un graal pour tout grand collectionneur ou musée, ces trois prestigieuses collections avaient permis d’établir, en 2022, un nombre record d’adjudications situées au-dessus des 50 millions de dollars, dont six ventes supérieures à 100 millions : du jamais-vu. Cette combinaison gagnante – une manne de purs chefs-d’œuvre soutenue par une compétition optimale sur le marché haut de gamme – a manqué en 2023. Les ventes de collections privées étant loin d’être aussi fastes que celles de l’année précédente, le nombre d’adjudications à plus de 50 millions de dollars est passé de 24 à 6 seulement. Cette carence de 18 lots majeurs suffit à amputer le résultat annuel de 1,46 milliard $.

Vendu 13 060 000 $ Georgia O’Keeffe, White Calico Rose, 1930, huile sur toile, 76,2 x 91,4 cm © Christie’s

Parallèlement à la raréfaction des œuvres de la plus grande qualité, les enchères ont parfois été moins compétitives comparé à l’enthousiasme ressenti en 2021-22. Plusieurs œuvres de géants du XXe siècle, dont Pablo Picasso, Andy Warhol, Mark Rothko ou Robert Rauschenberg, se sont vendues sans combativité, parfois en dessous de leur estimation basse. D’un marché conduit par le prestige et les grosses dépenses où les vendeurs menaient le jeu, on est passé à un marché d’acheteurs. Les grandes maisons de ventes ont donc ajusté leurs stratégies à cette nouvelle donne. En première ligne, Christie’s et Sotheby’s (qui réalisent près de la moitié du résultat mondial pour la vente d’œuvres d’art aux enchères) ont fait preuve d’agilité pour s’adapter au tassement du marché haut de gamme. Elles ont parfois baissé des prix de réserve, voire retiré in extremis plusieurs lots des ventes de mai 2023 pour contrer le risque d’invendus ou de résultats décevants. Cette prudence a permis de traverser une phase de transition aux signaux contradictoires.

Un marché d’acheteurs

Au deuxième semestre, les performances mondiales sont remontées (9,4 % de plus qu’au premier semestre) grâce à un regain d’énergie sur le marché très haut de gamme. La présence d’œuvres remarquables, notamment dans les ventes de New York et de Hong Kong, a accru le nombre de coups de marteau supérieurs à dix millions de dollars, qui s’était beaucoup étiolé au cours du premier semestre. Par ailleurs, la dynamique générale d’achat (tous segments de prix confondus) a atteint un apogée, l’année 2023 s’imposant comme la plus dynamique dans l’histoire du marché de l’art mondial, avec plus de 763 000 transactions.

Vendu 457 200 $ Michaela Yearwood-Dan, Shine, 2018, acrylique, fusain et huile sur toile, 169,9 x 121,9 cm. © Sotheby’s
Toujours plus de collectionneurs

Le fait que le flux de transactions atteigne son plus haut niveau témoigne de l’énergie, de l’envie et de la passion qui animent le marché. Il s’agit d’un signe de vitalité essentiel qui prouve que les principales sociétés internationales enregistrent des progressions significatives du nombre de participants aux enchères. Dans son bilan de fin d’année, Christie’s détaille par exemple que le nombre d’acquéreurs d’art des XXe et XXIe siècles fait un bond de 17 % en 2023, lorsque Phillips indique que près de la moitié des clients de 2023 sont des primo-accédants et que le tiers des acheteurs font partie des générations Y et Z. Le marché poursuit donc son évolution, porté par de jeunes amateurs qui contribuent pleinement à la performance des résultats, dans un contexte de mondialisation et de numérisation croissantes.

De ce point de vue, le marché des enchères tourne à plein régime. Le nombre total de lots vendus dans le monde progresse de 5 % et le taux de réussite des ventes (77 % aux États-Unis et 71 % au Royaume-Uni) rassure les vendeurs en reflétant une bonne adéquation de l’offre à la demande. Par ailleurs, le ralentissement indéniable du marché très haut de gamme ne signifie en aucun cas son arrêt. Des œuvres capitales se sont très bien vendues et de nombreux artistes ont remporté de nouveaux records. Citons celui de Vassili Kandinsky obtenu à 44,7 millions $ pour une superbe toile de 1910, celui de Hokusai avec un exemplaire de la Grande Vague de Kanagawa vendue 2,76 millions $, ou encore celui du Douanier Rousseau, dont Les Flamands (1910) se sont envolés au double de leur estimation basse pour un époustouflant 43,5 millions $. Citons, enfin, le record à 108,7 millions $ de Gustav Klimt (La Dame à l’éventail, 1917-18), signant la toute première adjudication supérieure à 100 millions $ à Londres.

Vendu 18 718 500 $ Agnes Martin, Grey Stone II, 1961, huile, feuille d’or et crayon sur toile, 182,9 x 182,9 cm. © Sotheby’s
Les femmes gagnent du terrain

Parmi les records marquants de cette année 2023, on constate une accélération notable du côté des artistes femmes. Les nouveaux records personnels enregistrés pour Lavinia Fontana, Anne Vallayer-Coster, Claude Lalanne, Joan Mitchell, Louise Bourgeois, Agnès Martin, Barbara Hepworth, Julie Mehretu, Jenna Gribbon, Jadé Fadojutimi ou encore Michaela Yearwood-Dan attestent du fort soutien des collectionneurs pour de grandes artistes d’époques, d’origines et de styles variés. Le marché est devenu particulièrement porteur juste après la pandémie, le résultat annuel des femmes ayant réalisé un bond extraordinaire de 66 % entre 2020 et 2021. Si elles sont encore largement minoritaires parmi les artistes les plus valorisés, l’écart s’estompe avec le temps. Il y a dix ans, elles étaient quasiment invisibles parmi les hautes performances du marché. À l’époque, Joan Mitchell était par exemple la seule femme du top 50 mondial, avec un résultat annuel deux fois et demi moindre que celui d’aujourd’hui. Mais en 2023, elles sont cinq à figurer dans ce top 50 (Yayoi Kusama, Joan Mitchell, Georgia O’Keeffe, Louise Bourgeois, Cecily Brown) grâce à de solides produits des ventes.

Les femmes sont en train de prendre la place qu’elles méritent sur le marché de l’art, portées par la volonté manifeste des divers acteurs du marché de les rendre plus présentes dans les catalogues de ventes et de réajuster leurs prix. Les progrès ont été rapides puisque le nombre de transactions les concernant a doublé en l’espace de cinq ans et triplé en dix ans. Finalement, en 2023, les adjudications pour les œuvres d’artistes femmes atteignent un pic historique dans l’histoire du marché de l’art et cette dynamique ne semble pas près de s’essouffler. L’accroissement de la demande est manifeste sur tous les segments de prix, y compris les plus prestigieux, puisque le nombre d’œuvres millionnaires s’est accru de 157 % durant la décennie. Précisons aussi que cette montée en puissance des transactions millionnaires n’est valable que pour les femmes, et non pas pour les hommes, ce qui semble prouver que les habitudes d’achats ont changé. Fortes d’un résultat annuel au beau fixe (1,3 milliard $), les femmes ont particulièrement bien résisté au ralentissement du marché global. L’enthousiasme pour elles n’a pas failli.

PAR CÉLINE MOINE

Vendu 1 935 500 $ Jadé Fadojutimi, Quirk my mannerism, 2021, huile, stick à l’huile et acrylique sur toile, 200 x 300 cm © Phillips
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