Un trait horizontal, peint sur une toile, fait paysage, un rond y fait soleil, lune ou astre. Les peintres abstraits se sont, dès l’origine, confrontés à ce problème. Certains – Piet Mondrian, Kasimir Malevitch, par exemple, pour évoquer des fondateurs – ont œuvré à un système de composition qui déjoue cette loi phénoménologique. Le Carré noir [ou blanc] sur fond blanc de Malevitch, à plus forte raison les lignes qui se coupent à angle droit, isolant des rectangles de couleur franche sur les tableaux de Mondrian, issues qu’elles sont des méditations graphiques de l’artiste sur la ramure nue d’un arbre en hiver, témoignent de ce travail à proprement parler d’abstraction. Avec, pour corollaire, que le langage ne peut, et encore, très imparfaitement, que qualifier géométriquement les formes et nommer leur couleur : carré blanc, ligne noire, rectangle jaune ou bleu.
D’autres artistes – Robert Delaunay, František Kupka – ont au contraire choisi de jouer de ce phénomène. La lune et le soleil apparaissent bien dans Contrastes simultanés (1912) du premier ou dans Disques de Newton (1911) du second. Mais ils y fonctionnent moins comme effets, objets de la représentation, que comme causes. Lune froide et soleil chaud apparaissent comme les sources de lumière et de couleur qui engendrent la peinture, elle abstraite. D’autres artistes encore donnent l’impression de se résigner, de céder à cette poussée du paysage, après y avoir vigoureusement résisté. Je pense évidemment à Nicolas de Staël. Les rectangles épais recouvrant la toile, aux couleurs travaillées dans la masse, opalescents, gris-vert, bleu-gris, mastic, s’effondrent à un moment donné d’extase et livrent des paysages épurés, aux couleurs crues. À parcourir son œuvre, on a le sentiment qu’il y a eu une lutte et que la plaine et le ciel d’été en sont sortis vainqueurs, pour une brève période heureuse.