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Mehdi Ben Cheïkh « On a tort d’opposer ce qui se fait dans la rue et ce qui s’accroche dans les musées »

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Passionné de street art, le galeriste Mehdi Ben Cheïkh a contribué à changer le visage du village touristique de Djerba. Récemment publié, le livre Djerbahood 2, Le musée de street art à ciel ouvert revient sur ce projet hors-normes, à la fois artistique, social et citoyen.

Mehdi Ben Cheïkh vit en France où il dirige depuis 2004 la galerie Itinerrance, dédiée au street art. Cet ancien prof d’arts plastiques franco-tunisien est à l’initiative du projet Boulevard Paris 13, un musée à ciel ouvert de plus d’une cinquantaine de fresques murales réalisées sur le boulevard Vincent Auriol dans le 13e arrondissement. En 2014, il lance en Tunisie le projet Djerbahood.  Une centaine de street artistes de diverses nationalités convergent à Djerba pour créer pas moins de 300 œuvres le long d’un parcours balisé qui fait désormais partie de l’identité de ce village deux fois millénaire. L’initiative a été reconduite en 2021 avec l’ambition de pérenniser les œuvres.

Pouvez-vous revenir sur votre projet de créer « un musée à ciel ouvert » en Tunisie et sur l’initiative Djerbahood 2 ?

Après le projet Djerbahood, débuté en 2014, l’île de Djerba, destination touristique, a gagné une attraction culturelle majeure. Au fil des années, les fresques ont commencé à se détériorer jusqu’à disparaître. C’est beau de voir la patine sur les œuvres mais les visiteurs étaient déçus, ainsi que les habitants qui ont créé une véritable économie autour du parcours. On est donc revenu en 2021, pendant une durée d’un an.

Forts de notre première expérience, on a voulu faire les choses autrement pour que les œuvres s’installent dans la durée. On a réalisé ainsi des fresques pérennes en préparant les supports, en restaurant les murs et en offrant la possibilité aux artistes d’expérimenter de nouveaux médiums comme la céramique. Plusieurs artisans ont été sollicités pour travailler en collaboration avec les artistes. Nous avons aussi détourné des techniques industrielles comme le transfert sur grès. 

Mehdi Ben Cheïkh pose devant la fresque Love won’t tear us apart. Située au 10 rue Pinel à Paris, elle a été réalisée par D*Face dans le cadre du projet Boulevard Paris 13. © Pierre-Emmanuel RASTOIN aka TONTON PER

Quel a été l’accueil du public, notamment face à des œuvres pouvant aborder des questions d’ordre social ou politique ?

Les réactions sont en général très bonnes. On a bien sûr abordé des sujets délicats comme les questions d’immigration qui affectent l’île de Djerba, un des points de départ des migrants. Mais on n’évoque pas vraiment de sujet politique. Je crois que le fait d’intervenir dans la rue est déjà en soi un acte politique. En 68, en France, et plus récemment en Égypte, lors des révolutions, une des premières réactions était de s’exprimer sur les murs dans la rue.

On a la sensation que les artistes s’expriment de manière plus débridée en Tunisie en comparaison, par exemple, avec le Maroc et le festival Jidar. Quel est votre avis ?

Aujourd’hui, en Tunisie, les artistes peuvent s’exprimer assez librement. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de comparer le Maroc et la Tunisie à ce sujet. Artistiquement, il y a autant d’avantages que d’inconvénients dans l’un et l’autre des pays. Par exemple, je suis admiratif de la volonté institutionnelle de soutenir l’art contemporain au Maroc, ce qui a permis au marché de l’art de se développer et de répondre aux attentes des collectionneurs. En revanche, en Tunisie on a développé des outils qui nous permettent de réaliser avec succès des projets en totale autonomie, ce qui leur offre une forme de liberté. 

Œuvre © Hush / photo © Lionel Belluteau /www.unoeilquitraine.fr/Albin Michel

Quelles tendances se dégagent concernant les thématiques abordées et la diversité des techniques utilisées, incluant souvent la céramique et la peinture sur jarre ?

Il n’y a pas plus diversifié que le street art. C’est sans doute la première fois dans l’histoire de l’art que le monde entier participe, dans toute sa diversité, à l’essor d’un mouvement contemporain. Ce ne sont plus quelques pays occidentaux qui donnent le ton et les autres qui suivent avec 20 ou 40 ans de décalage. Il n’y a plus cet effet de mimétisme que l’on a pu connaître avec les impressionnistes, les cubistes et même les peintres américains. Ce mouvement utilise le mieux les outils de son temps, notamment les réseaux sociaux.

Le monde répond en même temps à la problématique de comment s’accaparer la rue à travers une action artistique, à partir de son pays, de sa culture et de son architecture. De plus, le street art a cette capacité à sensibiliser la population aux arts plastiques. Les gens n’ont plus à entrer dans un musée ou une galerie pour avoir accès à l’art. Il leur suffit de se balader dans la rue. À Djerba, depuis 2014, les habitants ont été sensibilisés au street art, au point de s’approprier les œuvres. Aujourd’hui, ils ont développé un sens critique et ils échangent à propos des œuvres avec nous, avec les artistes et entre eux. De véritables critiques d’art ! À mon sens c’est cela, le véritable accès à la culture pour tous.

Œuvre © Banjer / photo © Lionel Belluteau /www.unoeilquitraine.fr/Albin Michel

Ne pensez-vous pas que les habitants puissent se lasser ou que les goûts évoluent en fonction des générations ?

Le public est avant tout témoin d’une période de l’histoire de l’art. Quand vous allez à Saint-Paul de Vence (ndlr : village de Provence où ont séjourné de nombreux artistes comme Picasso, Matisse, Chagall…), vous êtes toujours aussi contents de revoir les artistes qui étaient là à un certain moment. Le street art est un mouvement artistique que j’accompagne depuis bientôt vingt ans. Je suis à l’initiative d’événements comme la Tour Paris 13, Djerbahood, Boulevard Paris 13 qui ont pour vocation de rythmer ce mouvement. On a besoin de dates clés et d’événements d’envergure pour asseoir la chronologie qui constitue son histoire.

Comment définiriez-vous un street artiste ?

Il n’y a pas de street artistes, il n’y a que des artistes. Le fait d’intervenir dans la rue, c’est juste penser son art autrement sur la forme, mais le fond reste le même. Christo, Buren, font du street art, à mon sens. Felice Varini et Georges Rousse, et plus récemment la collaboration entre l’artiste Yayoi Kusama et la marque Louis Vuitton, sont du street art. On a tort d’opposer ce qui se fait dans la rue et ce qui s’accroche dans les musées. Il faut décloisonner tout ça car l’essentiel est la création ! Intervenir dans la rue est une manière pour un artiste contemporain de se réinventer. C’est un très bel exercice que de confronter son univers plastique au monde extérieur. 

Pour quelles raisons jugez-vous important de prolonger l’aventure de Djerbahood par la publication d’un livre ?

Le livre permet de garder une trace. J’accorde beaucoup d’importance aux beaux-livres. Chaque projet dont je suis à l’initiative aboutit à l’édition d’un livre, et parfois plusieurs au fur et à mesure de l’évolution du projet.

Œuvre © Cryptik / photo © Lionel Belluteau /www.unoeilquitraine.fr/Albin Michel
Œuvre © Wabi-Sabi / photo © Lionel Belluteau /www.unoeilquitraine.fr/Albin Michel

2 Commentaires

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