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Safâa Erruas Des mondes ébréchés

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L’artiste revient exposer à Casablanca et offre à voir un travail où la matière du verre est omniprésente entre transparences visibles, brisures recomposées et beauté à l’apparence trompeuse. Des mondes hantés par la destruction mais qui tiennent encore debout.

Safâa Erruas s’exprime beaucoup avec ses mains, surtout lorsqu’elle décrit son travail. Des mains ouvertes, qui sculptent l’espace sans hésiter, y creusent une place pour l’oeuvre rêvée. Comme si les mots n’étaient pas suffisants pour rendre justice à la forme, à la présence de ce que l’artiste est en train de créer, de rendre visible. Aujourd’hui, c’est aussi d’un revers de main catégorique qu’elle met le passé de côté : « Pour cette exposition, j’ai souhaité tout pousser à une extrême limite. J’ai voulu tout effacer, et je me suis limitée à un seul élément qui est le verre. »

L’extrême limite, c’est le tranchant de l’éclat de verre, ce sont ces petites lames fines utilisées pour les microscopes (cover glass), ces tubes de laboratoire que l’artiste brise sciemment en plusieurs morceaux pour les incruster fragment par fragment dans la surface du papier et du bois. Dans son atelier, ses oeuvres récentes se racontent entre transparence, brisure, débris qui se maintiennent dans le vide, et délicatesse de contours acérés. OEuvres, insiste-telle, protégées du regard et des visiteurs dans ce sanctuaire silencieux où elle s’isole pour travailler. Eloge de la répétition L’artiste pose les dernières touches de son exposition personnelle. Sur une grande table en chantier, une oeuvre nommée Terre humide. Les morceaux de verre s’y chevauchent par milliers, dans un ordre vertigineux de méticulosité, et font oublier leur transparence pour livrer un univers neigeux, presque duveteux, que l’on aurait envie de caresser. «Chaque lamelle de verre en tant qu’entité est transparente. Elle n’existe pas, elle est invisible, mais quand je la multiplie par mille, cette transparence devient visible. C’est comme si je travaillais à partir de rien du tout. Par la répétition, la matière acquiert présence et force ».

Et l’on imagine Safâa Erruas en brodeuse patiente du brisé, du tranchant, sertir la surface blanche de vaguelettes acérées, à la beauté étrange et indiscutable ; déconstruire le verre de ses doigts, à même la peau, à même la blessure, pour recréer à partir d’éclats de verre un monde en ruines comme dans la série Turbulences, ou encore un univers où s’entrelacent intimement naissance et mort, dans la série Vies parallèles. « Je ne peux pas confier ce long et fastidieux travail à quelqu’un d’autre. D’abord mon dessin n’est jamais vraiment fini quand je commence à planter les morceaux de verre. Et puis quand je casse une lame, c’est en deux, trois ou quatre fragments, selon la forme que je désire obtenir. Et cette forme, je suis seule à pouvoir la déterminer. L’autre raison, ce sont tous les bouts de verre qui s’incrustent dans mes doigts, qui me blessent, qui s’insèrent dans ma peau… c’est à ce moment-là aussi que l’oeuvre prend sens. Une histoire se tisse alors entre ce que je suis en train de façonner et moi.


C’est peut-être à cause de ce que je ressens, de ce malaise causé par l’inconfort de ce travail que je décide de changer la forme de l’oeuvre, d’aller vers l’autre côté, de laisser tomber cette partie pour y revenir plus tard. »

Vous pouvez lire la suite de cet article dans le Diptyk magazine numéro #28
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