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Une histoire cousue de fil rouge

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Entre esprit de dérision et visions cauchemardesques, la jeune scène contemporaine syrienne s’expose en région parisienne dans une scénographie des plus réussies.

« Soutenir les Syriens et la cause syrienne ! ». Telle était, selon la curatrice syrienne Dunia Al-Dahan, l’une des ambitions du collectif « Portes ouvertes sur l’art contemporain syrien » à l’origine de l’exposition. Fondé en 2017 par sept femmes syriennes et françaises (dont Véronique Bouruet Aubertot et l’ancienne directrice de La Maison Rouge, Paula Aisemberg, qui sont les deux autres commissaires de l’exposition), le collectif a commencé par organiser des visites d’ateliers d’artistes. De là est née l’idée de cette exposition collective regroupant une vingtaine de lauréats de l’école des Beaux-Arts de Damas. Si certains d’entre eux ont vécu l’horreur carcérale, comme en témoignent Dunia Al-Dahan et le sculpteur Khaled Dawwa, dont les compressions d’argile expriment mieux que tout la sensation d’oppression, la nostalgie et un humour souvent dévastateur ne sont jamais bien loin.

Sulafa Hijazi, untitled, 2012 huile sur toile, 105 x 110 cm. Courtesy de l’artiste.

« Où est la maison de mon ami ? » interroge l’exposition, reprenant le titre d’un long-métrage d’Abbas Kiarostami dont la nationalité iranienne peut être vue comme un contre-point ironique au principal soutien du régime syrien. Dès les premières salles, le ton est donné. Une installation de Khaled Barakeh intitulée On the ropes voit se balancer les différents éléments d’un mobilier suspendus à des fils de nylon. Si l’impression de légèreté paraît ludique de prime abord, très vite un sentiment d’angoisse vous envahit, confirmé par une autre installation de Walaa DakakI and eye, dans laquelle des visages métalliques suspendus à des fils vous dévisagent dans un face à face intrigant. 

Randa Maddah, Light Horizon, 2012, vidéo, 7’22’’. Courtesy de l’artiste.

Motif conducteur de l’exposition, le fil, qu’il soit rouge ou blanc, devient tour à tour la métaphore de l’exil ou celle de l’oppression. De celui qui suture le regard dans les collages de Nour Asalia à ceux qui suggèrent la torture, dans le triptyque vidéo de Akram Al HalabiThread knots, où une musique lancinante sert de toile de fond à des plans fixes où l’on voit une main simuler un étranglement ou un amas de fils rouges en train d’être plongé dans une eau étouffante. Il est encore question de fil dans le photomontage numérique de Tammam Azzam (Bon Voyage), qui montre des maisons bombardées et emportées dans les airs par un ensemble de ballons de baudruche aux couleurs festives.

Khaled Takreti, Baluchons, 2016, encre sur papier, 212 x 149 cm. Photo © Guillaume Bounaud. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris

Oscillant entre des scènes cauchemardesques rappelant parfois Les Caprices de Goyacomme dans les gravures fantastiques de Azza Abo Rebieh ou les dessins à l’encre de chine de Najah Al Bukai – et un franche esprit de dérision porté par les marionnettes satiriques du Collectif Masasit Mati, cette jeune scène brille par son éclectisme et sa liberté. Alors que la formation des Beaux-Arts reste très académique – sculpture, graphisme, dessin, gravure, décoration d’intérieur –, ces jeunes lauréats explorent les médiums de leur temps tels que la photo ou la vidéo dans un lent travail de résilience qui ne tient bien souvent qu’à un fil.

Olivier Rachet

« Où est la maison de mon ami ? », Maison des arts – centre d’art contemporain – de Malakoff, jusqu’au 9 juin 2019.

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