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ZINEB SEDIRA, GARDIENNE DES MEMOIRES

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A l’épreuve du temps et de l’espace, son œuvre au féminin remonte la piste des origines. Entre ailleurs et nulle part, son travail photo/vidéo montre avec humanisme des rêves de départ et de retour. Contre l’oubli, c’est elle qui se raconte aussi.

 

D’origine algérienne, Zineb Sedira est née en France, à Genevilliers en 1963. Représentée par la galerie parisienne Kamel Mennour (voir rubrique « Le galeriste », diptyk N°1), l’artiste vit et travaille à Londres depuis 1986. Notamment influencée par Alfredo Jaar et Mona Hatoum, son œuvre fait aujourd’hui partie des collections du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, des Nouveaux Médias du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, ainsi que de la Tate Britain ou encore de la Deutsche Bank. Exposée à la Biennale de Venise 2001, Zineb Sedira vient plus récemment de remporter le Prix pour l’art contemporain du SAM Art Projects, à Paris, en décembre dernier. A suivre…


De quelle région d’Algérie êtes-vous originaire ?
Zineb Sedira : Je viens de Sétif, où les émeutes nationalistes du 8 mai 1945 furent réprimées dans le sang par les autorités coloniales françaises… Pour l’histoire, c’est souvent le point de départ de la guerre d’Algérie. Mais la ville dont mes parents sont originaires, c’est Bordj Bou Arreridj, dans cette région des Hauts-Plateaux de l’Est algérien, au pied de la Petite Kabylie, non loin des Aurès. Dans les années 1960, mes parents ont émigré en France, pour s’installer dans la banlieue parisienne, à Gennevilliers. Et puis, ils sont retournés vivre en Algérie il y a une vingtaine d’années. L’idée de l’émigré maghrébin en France, c’est d’y venir pour travailler, et d’en repartir éventuellement. Sauf qu’on y reste, la plupart du temps. Alors que mes parents ont eu cette chance de retourner dans leur pays natal pour leur retraite. Quant à moi, je suis née en France, à Gennevilliers.


Comment votre parcours dans l’art a-t-il débuté ?
En 1986, j’ai décidé de vivre à Londres, pour apprendre l’anglais. A l’époque, je faisais un peu d’art, sans plus. Vers 1990-91, j’ai commencé plus sérieusement à étudier la chose. En empruntant le circuit traditionnel britannique : l’année d’atelier, le Bachelor’s degree, le Master, etc. Le tout, dans trois écoles londoniennes assez réputées : Saint Martins College of Art & Design, Slade School of Fine Art, Royal College of Art. Dans les deux premiers établissements, j’étais inscrite au sein du département Média, en rapport avec l’audiovisuel. Mais c’est au Royal College of Art que je me suis concentrée sur la photo et  la vidéo.


Que vous a apporté votre formation en Grande-Bretagne ?
Sur le plan pédagogique, c’est ce qu’il y avait de mieux pour moi et pour les thèmes que j’explorais. Au Saint Martins College of Art & Design, une grande partie de l’enseignement était consacré aux Critical Studies et ultural Studies, pour lesquelles notre professeur d’origine indienne nous faisait plancher sur La Bataille d’Alger, Hélène Cixious, Jacques Derrida. Enfin, j’ai découvert des événements et des penseurs que je n’avais pas eu l’occasion de connaître en France, et qui m’ont aidée à comprendre d’où je venais. D’autre part, j’ai eu cette chance d’avoir des professeurs d’arts visuels comme Mona Hatoum, pour ne citer qu’elle. Parallèlement, le mouvement « post-colonial » s’est beaucoup développé en Grande-Bretagne, au tournant des années 1990. Tandis qu’en France, il était totalement inexistant. En soi, le « post-colonial » regroupait des artistes sensibles aux aspects culturels de l’après-décolonisation, de par la situation historique, politique et sociale de leurs pays d’origine. Citons entre autres le « Black Art Mouvement », créé autour d’artistes d’origines jamaïcaine, indienne, pakistanaise, qui a largement contribué à l’élaboration d’un discours spécifique, par exemple sur la question d’être un artiste de couleur dans une société blanche. Evidemment, je ne parle que des bases d’une problématique plus complexe en réalité. En même temps, Londres c’est une ville-monde, tant sur le plan culturel qu’au niveau de la création artistique.


Cette expérience vous a-t-elle permis d’établir une relation plus intime avec votre culture d’origine ?
La différence, c’est qu’en France on vous dit qu’il faut s’assimiler à la culture française et que l’on devient français de cette manière. En Angleterre, on me disait, au contraire, « mais tu n’es pas française, tu es algérienne ». Finalement, ma double expérience française et anglaise s’est complétée, me permettant de redécouvrir mon identité propre, et de re-connecter avec l’Algérie, l’histoire de mes parents, leur rôle pendant la guerre d’Indépendance, leur condition d’immigrés en France, tout leur vécu… Parce qu’on parlait l’anglais, le français, l’arabe dans une même famille, j’ai fouillé ce thème aussi, de la langue et de la transmission. Et puis, celui du féminisme qui m’a toujours intéressée, au même titre que la représentation de la femme dans l’orientalisme. En fait, tout était chez moi intimement lié à cette re-découverte.


Est-ce ce sentiment d’appartenance que vous vouliez exprimer dans vos premières œuvres ?
Après mon Master au Slade School of Art, j’ai réalisé ma première grande exposition en 1997, avec le Musée d’art moderne de Glasgow (Ecosse). A l’époque, je travaillais sur le carrelage, le papier peint, des pièces en lino faites au sol. Là-bas, j’ai reproduit un intérieur entièrement carrelé dont j’avais créé les dessins, en reprenant les motifs géométriques d’inspiration islamique que l’on observe traditionnellement dans la culture arabe. En général, on montre peu de figuratif dans les pays musulmans, étant donné l’impossibilité de représenter la forme humaine. Mais j’y ai inséré des visages de femmes de quatre générations : ma mère, ma grand-mère, moi-même, ma fille. En 2001, c’est cette œuvre qui est allée à la Biennale de Venise.


Ensuite, qu’est-ce qui vous a poussée vers l’image ?
Mon intérêt pour l’image est issu de mes recherches sur la représentation des femmes dans l’orientalisme. Qu’elle soit arabe ou encore africaine, j’ai compris qu’aucune d’entre elles n’y correspondait à la réalité… Venant d’Algérie, je savais parfaitement qu’exhiber une femme sous un voile, avec un sein qui dépasse, en train de fumer devant un paon, était un fantasme aberrant, une forme de racisme qu’il fallait contourner. Parallèlement, j’étais très absorbée par le mouvement « hardcore » féministe occidental des années 1970, qui dénonçait la représentation des femmes dans l’art comme la conséquence systématique du regard des hommes. Ce qui m’importait, c’était donc de représenter la femme en évitant ces archétypes, ces stéréotypes, tous les clichés ordinaires du sexe.


Comment votre photo a-t-elle continué son chemin jusqu’aux paysages ?
En 2002-03, j’ai commencé à ne filmer que l’Algérie –  en dehors de la Mauritanie où je me suis rendue à quelques reprises. En clair, je ne travaillais plus sur l’Algérie à travers mes parents, des histoires racontées, mes souvenirs de voyages. C’est le paysage qui en était devenu la métaphore. Ma source d’inspiration, c’était le pays lui-même : les gens, l’architecture, la mer. Même si je parlais d’émigration, je ne situais pas mon discours en Algérie, mais partout, délibérément. Une façon de me rapprocher de moi-même, mais aussi d’être plus universelle, d’offrir une ouverture à mon travail. Mes photos, mes films montraient des paysages avec un aspect toujours politique, mais plus poétique, moins documentaire.


D’où vient votre fascination pour la mer, l’appel du large, de l’ailleurs ?
C’est vrai, je suis fascinée par la mer, la traversée en bateau, cette distance entre la France et l’Algérie, même si ces deux ont des liens très forts, qu’on le veuille ou non. Et puis Marseille, Alger, les maisons coloniales françaises à l’abandon… Tout un passé récent, une mémoire coloniale qui disparaissent, avalés par le sable, le sel et le vent. Cet espace de l’entre-deux, qui n’est pas une frontière complètement visible, ni non plus palpable. J’aime ce regard qu’ont les gens vers la mer, l’horizon, cette échappée, cette part de rêve.
 

 

Propos recuillis par Renaud Siegmann

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