« Un musée ne doit pas subir d’autocensure »

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Une trentaine d’artistes déploient les multiples interprétations de la matière dans l’exposition «Material Insanity». L’occasion de faire le point avec Othman Lazraq, président du MACAAL, et Meriem Berrada, directrice artistique, sur la libération de leur vision.

L’exposition « Material Insanity » n’est pas centrée sur une idée ou sur un concept, mais sur une approche plastique, celle de l’interprétation de la matière. Est-ce une manière de renouveler la vision de l’art contemporain africain en le sortant de ses thématiques récurrentes ?

Meriem Berrada : C’est assez instinctif de travailler sur la matérialité lorsqu’on parle d’art contemporain en général et le territoire africain possède aussi ce rapport privilégié aux matériaux. Mais cette partie de l’identité de l’art africain est à notre sens trop réductrice. On ne voulait pas seulement s’arrêter à la récupération de matériaux, comme les lunettes du Kenyan Cyrus Kabiru ou le travail du Zimbabwéen Moffat Takadiwa, on voulait aller plus loin. Bien sûr, les œuvres sélectionnées ou commissionnées abordent des sujets très actuels : domination sociale et économique, consumérisme, identité, etc. La matérialité est un sujet, mais ce n’est pas le sujet principal de cette exposition, on s’intéresse au processus. Avec au-delà, l’invitation faite au visiteur de se poser la question du cheminement, au risque parfois de confondre le sujet et l’objet.

Ibrahim Mahama, Produce of Sea, 2017, bâche et pièces de métal sur sacs à charbon en jute, 396 x 417 cm

Certains artistes utilisent la matière pour évoquer des thématiques qu’on ne soupçonne pas forcément dans des œuvres rattachée à la matérialité : Igshaan Adams et l’homosexualité, Clay Apenouvon et la migration…

Othman Lazraq : Pour moi, un musée ne doit pas subir d’autocensure, mais doit pouvoir parler de tout sujet librement. Avec cette exposition, chacun doit pouvoir être dans sa propre interprétation, sur des sujets qui nous touchent tous, comme les rapports inégaux entre Blancs et Noirs, abordés par M’barek Bouhchichi, ou l’excision dont parle Owanto. C’est le positionnement du MACAAL aujourd’hui, qui se veut être, n’ayons pas peur de l’expression, un musée libre. Pour notre prochaine exposition, en 2020, nous prévoyons un sujet encore plus puissant. C’est important pour nous de prendre des risques.

Turiya Magadlela, She went all around the world and came back here #2, 2012, collants et techniques mixtes, 75 x 75 cm

La scénographie signée Zineb Andress Arraki se veut très novatrice. Qu’a-t-elle apporté, en tant qu’artiste et architecte, à cette nouvelle vision ?

O.L. : Zineb Andress Arraki a très rapidement exprimé sa volonté de ne pas établir de parcours défini, mais de mettre en place un jeu sur les points de vue. Cela a rejoint notre désir de ne plus avoir de murs dans la scénographie, où le visiteur peut circuler librement et voir comment les oeuvres se répondent. On pourra retrouver ici le même fil conducteur que l’on sent en voyageant en Afrique. Les liens existent entre les pays du continent et ils sont très forts.

M.B. : Zineb a apporté beaucoup de liberté et de décloisonnement dans le parcours, notamment en n’imposant pas de sens de lecture. Il n’y a pas de début ni de fin de parcours, mais une multitude d’expériences de visite possibles. Aussi, pour le travail d’artistes femmes comme Frances Goodman ou Turiya Magadlela, qui utilisent des attributs féminins poussés dans leurs retranchements, Zineb a choisi de les disperser dans la scénographie pour éviter les rapprochements faciles.

Trouvez l’intégralité de l’entretien dans le numéro 47 actuellement en kiosque.

 

«Material Insanity», Musée d’art contemporain africain Al Maaden Marrakech (Macaal), Marrakech, du 26 février au 22 septembre 2019.