À la Bourse de Commerce, la sensible chronique d’un désastre annoncé

L’exposition « Avant l’orage » s’empare de la thématique climatique en un ensemble d’œuvres souvent délicates, jamais frontales. Une réflexion sur notre rapport au vivant nécessaire, ici servie par une scénographie alternant pleins et vides, immersion et espacement. On y retrouve les paysages chimériques de Hicham Berrada. À voir absolument.

Il y a 2 ans, la réouverture de la Bourse de Commerce provoquait un petit cataclysme dans le milieu de l’art parisien. Non seulement parce que la fondation Pinault avait fait appel à l’architecte multi primé Tadao Ando pour métamorphoser ce bâtiment du XVIIIe siècle en musée d’art contemporain mais surtout parce qu’elle exposerait une partie des 10 000 pièces de la collection du magnat du luxe, en plein coeur de la capitale. Une collection prestigieuse à la hauteur des moyens de son propriétaire où les œuvres de plasticiens superstars – Murakami, Jeff Koons ou Damien Hirst – rivalisent avec celles, plus pointues, d’une Camille Henrot ou d’un David Hammons.

Dans ce savant mélange des genres émanant des goûts d’un seul homme, on trouvera la vidéo Présage de Hicham Berrada, actuellement présentée au sein de l’exposition « Avant l’orage ». Plongé dans l’obscurité, le regardeur fait face à un écran de plusieurs dizaines de mètres et s’immerge dans le microcosme que Berrada orchestre à coups de savantes interactions chimiques. Par réactions, se créent des formes mystérieuses, entre minéral et organique.

Ce n’est pas la première fois que l’on découvre ce travail, activé en 2013. Mais ce qui séduit profondément ici, c’est la logique oxymorique du dispositif scénographique : le gigantisme de l’écran permet non seulement une submersion mais il entre en douce contradiction avec les conditions de réalisation de cette œuvre faite dans des béchers. Une variation d’échelle intéressante. Présage est sans doute l’une des pièces les plus marquantes de cette exposition qui s’attache à interroger le grand défi de notre temps : l’urgence climatique.

Lucas Arruda, de son côté, remet au goût du jour la peinture de paysage – celle de ciels parfois orageux, parfois percés d’une lumière mystique – qui nous rappelle toute la puissance évocatrice du geste pictural.

« Avant l’orage » n’est assurément pas un appel tonitruant au réveil des consciences mais une invitation délicate à redéfinir notre rapport au vivant. La fragilité des sculptures tout en petites branches d’arbres de Daniel Steegman Mangrané est soulignée par l’impressionnant vide de l’espace dans lequel celles-ci sont disposées, obligeant à une attention accrue et une certaine tendresse envers les êtres végétaux. Tout comme la magnifique vidéo de Jonathas de Andrade, O Peixe, nous invite à une empathie radicale vis-à-vis du monde animal pour enrichir notre perception de la réalité souvent réduite aux seules préoccupations humaines.

Emmanuelle Outtier

« Avant l’orage », Bourse de Commerce – Pinault collection, Paris, jusqu’au 11 septembre 2023.