À Paris, on attend l’effet Basel

Avec Paris+, la nouvelle foire pilotée par le géant suisse Art Basel qui vient remplacer la Fiac, la capitale française a tout pour (re)devenir une importante place de marché, d’autant que le marché londonien est affaibli par le Brexit. Décryptage avec la galeriste parisienne Nathalie Obadia.

L’arrivée d’Art Basel à Paris est un événement très symbolique. Le groupe MCH, qui possède Art Basel, hisse la capitale française au même niveau que les autres villes où ses foires sont devenues des phares du marché de l’art. À Bâle, où la grande foire historique créée en 1970 est devenue le rendez-vous incontournable du monde de l’art, les art players (galeries, artistes, collectionneurs, art advisors, curateurs, conservateurs de musées) et les visiteurs mondains se retrouvent chaque année en juin. Sans connaître les chiffres exacts, on sait que de nombreux tableaux à plusieurs dizaines de millions de dollars s’y vendent à chaque édition.

Face à la globalisation du monde de l’art, MCH a compris que Bâle ne suffisait plus à attirer les nouveaux acheteurs venus du monde entier. Art Basel Miami a été créée en 2001, non seulement pour attirer les amateurs d’Amérique latine, mais aussi les milliers de collectionneurs des États-Unis qui ne vont pas forcément visiter les galeries d’avant-garde de New York. Les Européens sont nombreux aussi à venir à Art Basel Miami, qui a complètement changé l’image de cette ville longtemps associée au crime et au tourisme de masse. En vingt ans, Miami est devenue un passage obligé du circuit de l’art grâce à l’ouverture de fondations privées comme les collections Rubell, Margulies et de La Cruz et à la création du Perez art Museum construit par Herzog & de Meuron.

MCH a compris aussi que le marché asiatique se développait dans les années 2000, entraîné par la Chine qui était très ouverte à l’art occidental et désireuse aussi d’exporter ses artistes chinois. La ville de Hong Kong, symbolisant le dynamisme économique en Asie, a été choisie pour y installer en 2013 une nouvelle bouture d’Art Basel. Hong Kong est devenu le nouveau rendez-vous des amateurs d’art, des galeries occidentales s’y sont installées et le musée M+, lui aussi construit par Herzog & de Meuron, a enfin ouvert. Mais depuis 2020, avec les strictes restrictions sanitaires et la reprise en main politique de la Chine sur Hong Kong, Art Basel a des difficultés à maintenir son rayonnement dans la région.

Ainsi MCH – devenu plus « américain » avec la participation à 49 % de l’Américain James Murdoch – a trouvé un nouvel élan en s’intéressant à la place de Paris, dont le dynamisme artistique s’est accéléré depuis que le Brexit pénalise l’activité à Londres. Quitter le marché commun a eu pour conséquence l’arrivée de nouvelles taxes sur les oeuvres importées, mais surtout le départ de nombreux professionnels internationaux des secteurs de la finance et du commerce international, qui étaient aussi collectionneurs, entraînant l’installation de galeries à Paris pour bénéficier des avantages douaniers du marché commun.

Un regain d’intérêt

Dès les années 1990, des galeries étrangères sont venues s’installer aux côtés des enseignes françaises de plus en plus dynamiques, alléchées par le potentiel de nouveaux collectionneurs comme Karsten Greve et Thaddeus Ropac. Ils ont été suivis par Marian Goodman, Gagosian et plus récemment David Zwirner, en attendant Hauser & Wirth en 2023 et des galeries plus expérimentales.

Paris a commencé à se hisser au rang de grande capitale de l’art grâce à l’ouverture de la Fondation Vuitton, avec son architecture spectaculaire de Frank Gehry en 2014, suivie de la Collection Pinault-Bourse du Commerce, restaurée par Tadao Ando en 2021. Ces deux entrepreneurs du secteur du luxe figurent depuis le début du XXIe siècle parmi les plus grands collectionneurs du monde et le dynamisme de la programmation de leurs fondations s’ajoute à celle des grands musées publics comme le Louvre, Orsay et le Centre Pompidou.

Le regain d’intérêt de Paris s’accentue du fait que Christie’s et Sotheby’s, longtemps anglo-américains, appartiennent aujourd’hui à deux Français : François Pinault et Patrick Drahi. C’est aussi le choix de venir s’installer en France d’artistes reconnus comme Miguel Barcelo, Jim Dine, David Hockney, Anselm Kiefer et Ugo Rondinone qui véhicule une image positive du pays et de Paris.

À ce circuit artistique s’ajoute l’attrait suscité par le secteur du luxe, dont Paris a toujours été la destination incontestée. L’arrivée de Paris+ par Art Basel, dont le savoir-faire en matière d’organisation et de réseau mondial reste inégalé, va attirer un plus grand nombre de visiteurs internationaux séduits par les multiples possibilités liées à l’art et au luxe et la capitale va largement bénéficier de ce ruissellement économique. Aucune autre ville en Europe ne pouvait offrir les mêmes atouts que Paris, qui est en octobre la capitale mondiale de l’art

Nathalie Obadia