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Pour cette 16e édition après 3 ans d’absence, le duo de curateurs stars Sam Bardaouil et Till Fellrath enracine la biennale dans sa ville et dans le monde sur le thème de la fragilité.
Cette édition porte les stigmates de notre époque. Imaginée par les curateurs Sam Bardaouil et Till Fellrath pendant la période inédite du confinement, préparée en grande partie d’abord par zoom, « avec des personnes dont nous ressentions les états d’extrême fragilité », confie Bardaouil le jour de l’ouverture, la biennale se déploie finalement dans toute sa force et matérialité aux Usines Fagor, au Mac LYON, au musée Gadagne et au musée de Fourvière.
Dans les immenses espaces des anciennes usines Fagor, on perçoit toute la dimension du collectif, annoncée par les curateurs, et la fragilité est partout tangible. Ici, l’artiste saoudienne Dana Awartani reconstitue avec des briques le parvis détruit de la mosquée d’Alep, plus loin, dans un hall consacré à son immense installation immersive We were the last to stay, le Belge Hans Op de Beeck fige dans une cendre grise inquiétante un campement à l’échelle 1 pétrifié tel un memento mori, alors que le Suisse Julian Charrière, entre art et science, mobilise tous nos sens et notre anxiété avec sa vidéo de 2 heures sans coupes où l’on suit un drone filmer dans la nuit polaire, une calotte glaciaire en souffrance.
Pourtant, la fragilité côtoie la résilience dans l’écriture de cette exposition. D’abord, dans une très belle manière de confronter le passé lointain et le présent, avec ces sculptures des collections du Musée des Moulages : des tirages en plâtre réalisées d’après des statues d’époque romaine, grecque ou égyptienne. Exposées aux manipulations et aux outrages de l’histoire, ces moulages fragiles mais résistants portent des éclats et fissures qui rappellent leur propre histoire mais aussi celle des statues originales qu’ils représentent et dont ils sont parfois la seule trace en volume.
Fragilité et résistance aussi dans cette très émouvante installation de la tunisienne Nadia Kaabi-Linke Le chuchotement du chêne. Dans le cadre du programme Veduta, elle a créé des squelettes de feuilles de chênes dédiés à des disparus. Elle a enregistré les souvenirs des vivants qu’on entend, convertis en battements sonores qui résonnent dans le bois des branches de son installation.
Retour à l‘antique
C’est sur le site de l’antique Lugdunum, au cœur du musée de style brutaliste, que se poursuit le parcours, avec l’intrusion souvent très réussie d’œuvres contemporaines entre les mosaïques et autres trésors de l’Antiquité. Produite en collaboration avec des tisserandes, l’installation A garden inside d’Amina Agueznay est à l’origine de nouveaux réseaux de partages et de connaissances. Dans cette écriture, elle témoigne de la fragilité des procédés de transmission et de perpétuation des techniques et pratiques traditionnelles.
On découvre aussi avec enthousiasme la vivacité de la scène contemporaine française, notamment en peinture, avec les œuvres de Giulia Andreani (nommée pour le prix Marcel Duchamp cette année) disséminées sur l’ensemble du parcours de la biennale et en particulier ici à Lugdunum. Avec son Genita Manae, elle répond in situ à l’épitaphe de Primilla, l’un des rares portraits sculptés, individuel et non allégorique d’une femme antique du musée : « Aux dieux Mânes, à la mémoire de Primilla sa fille, Terentius Pritto a fait faire ce tombeau », tutoyant ainsi, par la fragilité des destins, l’histoire antique.
Le parcours dans la ville nous emmène jusqu’à la cour Renaissance du musée d’histoire de Lyon – Gadagne où l’on est accueilli, ironie absolue, par le son de notre RTM, diffusée au hasard de l’installation facétieuse de Hannah Weinberger, un collage algorithmique de transmissions radios en direct de tous les pays anciennement colonisés par la France.
Meryem Sebti