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À Lyon, une biennale pour se souvenir de notre extrême fragilité

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Pour cette 16e édition après 3 ans d’absence, le duo de curateurs stars Sam Bardaouil et Till Fellrath enracine la biennale dans sa ville et dans le monde sur le thème de la fragilité.

Cette édition porte les stigmates de notre époque. Imaginée par les curateurs Sam Bardaouil et Till Fellrath pendant la période inédite du confinement, préparée en grande partie d’abord par zoom, « avec des personnes dont nous ressentions les états d’extrême fragilité », confie Bardaouil le jour de l’ouverture, la biennale se déploie finalement dans toute sa force et matérialité aux Usines Fagor, au Mac LYON, au musée Gadagne et au musée de Fourvière.

Dans les immenses espaces des anciennes usines Fagor, on perçoit toute la dimension du collectif, annoncée par les curateurs, et la fragilité est partout tangible. Ici, l’artiste saoudienne Dana Awartani reconstitue avec des briques le parvis détruit de la mosquée d’Alep, plus loin, dans un hall consacré à son immense installation immersive We were the last to stay, le Belge Hans Op de Beeck fige dans une cendre grise inquiétante un campement à l’échelle 1 pétrifié tel un memento mori, alors que le Suisse Julian Charrière, entre art et science, mobilise tous nos sens et notre anxiété avec sa vidéo de 2 heures sans coupes où l’on suit un drone filmer dans la nuit polaire, une calotte glaciaire en souffrance.

manifesto of fragility, Biennale de Lyon 2022, Hans Op de Beeck, We Were the Last to Stay, 2022, Installation in situ, matériaux divers. Commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, Usines Fagor. Avec le soutien de Galleria Continua, de la galerie Krinzinger, de la Collection Wemhöner, de Pia Gazil, de Carrion Génie Civil Maçonnerie, de Mat-Eco Recyclage. © Adagp, Paris, 2022. Photo : Blandine Soulages © Adagp, Paris, 2022.

Pourtant, la fragilité côtoie la résilience dans l’écriture de cette exposition. D’abord, dans une très belle manière de confronter le passé lointain et le présent, avec ces sculptures des collections du Musée des Moulages : des tirages en plâtre réalisées d’après des statues d’époque romaine, grecque ou égyptienne. Exposées aux manipulations et aux outrages de l’histoire, ces  moulages fragiles mais résistants portent des éclats et fissures qui rappellent  leur propre histoire mais aussi celle des statues originales qu’ils représentent et dont ils sont parfois la seule trace en volume.

Fragilité et résistance aussi dans cette très émouvante installation de la tunisienne Nadia Kaabi-Linke Le chuchotement du chêne. Dans le cadre du programme Veduta, elle a créé des squelettes de feuilles de chênes dédiés à des disparus. Elle a enregistré les souvenirs des vivants qu’on entend, convertis en battements sonores qui résonnent dans le bois des branches de son installation.

manifesto of fragility, Biennale de Lyon 2022, Julian Charrière, Not All Who Wander Are Lost, 2019, Sculpture, roche glaciaire, carottes de forage, aluminium, laiton, cuivre, acier inoxydable. Second plan : Towards No Earthly Pole, 2019, Film couleur 4K, 104’ 30’’. 16ème Biennale d'art contemporain de Lyon. Usines Fagor. Courtesy de l’artiste. Avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture, du Centre culturel suisse -Paris, de l’ifa - Institut für Auslandsbeziehungen, du Goethe-Institut Lyon etde Dittrich & Schlechtriem Gallery © Adagp, Paris, 2022. Photo : Blandine Soulage © Adagp, Paris, 2022.

Retour à l‘antique

C’est sur le site de l’antique Lugdunum, au cœur du musée de style brutaliste, que se poursuit le parcours, avec l’intrusion souvent très réussie d’œuvres contemporaines entre les mosaïques et autres trésors de l’Antiquité. Produite en collaboration avec des tisserandes, l’installation A garden inside d’Amina Agueznay est à l’origine de nouveaux réseaux de partages et de connaissances. Dans cette écriture, elle témoigne de la fragilité des procédés de transmission et de perpétuation des techniques et pratiques traditionnelles.

On découvre aussi avec enthousiasme la vivacité de la scène contemporaine française, notamment en peinture, avec les œuvres de Giulia Andreani (nommée pour le prix Marcel Duchamp cette année) disséminées sur l’ensemble du parcours de la biennale et en particulier ici à Lugdunum. Avec son Genita Manae, elle répond in situ à l’épitaphe de Primilla, l’un des rares portraits sculptés, individuel et non allégorique d’une femme antique du musée : « Aux dieux Mânes, à la mémoire de Primilla sa fille, Terentius Pritto a fait faire ce tombeau », tutoyant ainsi, par la fragilité des destins, l’histoire antique.

Le parcours dans la ville nous emmène jusqu’à la cour Renaissance du musée d’histoire de Lyon – Gadagne où l’on est accueilli, ironie absolue, par le son de notre RTM, diffusée au hasard de l’installation facétieuse de Hannah Weinberger, un collage algorithmique de transmissions radios en direct de tous les pays anciennement colonisés par la France.

 

Meryem Sebti

Retrouvez un récit complet des visites dans notre édition trimestrielle print (parution octobre 2022).
Biennale de Lyon, jusqu’au 31 décembre 2022, divers lieux dans la ville.
Amina Agueznay, A GARDEN INSIDE, 2020, Installation, Fil de laine teint naturel, fil de coton, colle, métal, dimensions variables.
Giulia Andreani, La promessa sposa, 2021, Courtesy Galerie Max Hetzler Berlin-Paris-Londres © Charles Duprat.
manifesto of fragility, Biennale de Lyon 2022, Sarah Brahim, Soft Machines / Far Away Engines, 2021, Installation vidéo 8 canaux, 10’00’’, son. 16ème Biennale d'' art contemporain de Lyon. Usines Fagor. Commande de la Diriyah Biennale Foundation © Blaise Adilon
Dana Awartani, Standing by the Ruins of Aleppo, 2021, courtesy of Canvas and Diriyah Biennale Foundation.
manifesto of fragility, Biennale de Lyon 2022, Lucia Tallová, Mountain, 2022, Installation, bois, acrylique sur toile et papier, encre sur papier, vieilles photographies, livres d’occasion, matériaux naturels, porcelaine, métal, pierres, charbon. Courtesy de l’artiste, Tomas Umrian Contemporary. Avec le soutien de l’Institut Slovaque de Paris. Commandes à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, Usines Fagor © Amande Dionne
manifesto of fragility, Biennale de Lyon 2022, Vue d'ensemble du Hall 1 des usines Fagor. Premier plan : Richard Learoy, Agnes at Table 1, 2007, Courtesy de l’artiste et PACE Gallery, New York. Avec le soutien de la PACE Gallery, New York. Second plan : Collection du Musée des Moulages, Université Lumière Lyon 2. 16e Biennale d''art contemporain de Lyon, Usines Fagor © Amande Dionne
manifesto of fragility, Biennale de Lyon 2022, Nadia Kaabi Linke, Le chuchotement du chêne, 2022, Installation in situ avec branches et feuilles de chêne et son, transducteurs, câbles et amplificateur. Commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, Usines Fagor. Courtesy de l’artiste
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