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À Ouagadougou, la biennale de sculpture BISO s’affirme

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Dans un contexte politique et sécuritaire tendu, la Biennale Internationale de la Sculpture de Ouagadougou (BISO) réaffirme, cette année encore, son ambition de valoriser ce médium, souvent délaissé par les artistes et le marché de l’art.

Rien n’était gagné d’avance. Pour accueillir les œuvres des 20 artistes de cette 3e édition, il aura fallu de l’imagination aux fondateurs de BISO, le photographe Nyaba Ouedraogo et le galeriste Christophe Person. L’an dernier, au lendemain du coup d’État du 30 septembre, l’Institut Français qui hébergeait traditionnellement la biennale a été pris d’assaut par les manifestants qui y ont mis le feu. Il fallait trouver en urgence une alternative. Changer de lieu. Ce sera finalement le « théâtre inachevé » du FESPACO – Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou – dont les organisateurs ont très vite saisi l’incroyable potentiel. « Je souhaitais, souligne Nyaba Ouedraogo, quelque chose de différent et d’hybride.»

D’inspiration brutaliste, cet amphithéâtre est, à bien des égards, atypique. Victime d’incendies qui, par deux fois – en 2007 puis en 2013 – ont ravagé le toit, le bâtiment est resté totalement hors d’usage depuis. Double peine : une légende urbaine – la présence de « djinns » à qui on impute les incendies – ternit un peu plus la réputation du lieu. Par superstition, la population n’y entre plus. L’immense espace offre pourtant des possibilités illimitées.

Vue extérieure de l'amphithéâtre du FESPACO où se déroule la 3e édition de BISO. (c)Myriam Crété

Si ce changement de lieu permet de donner à BISO une dimension plus ambitieuse et une visibilité renforcée, aménager ce site laissé à l’abandon depuis 20 ans n’a pas été une mince affaire, rappelle Nyaba Ouedraogo. « Les contraintes du lieu nous ont poussés à nous surpasser. Nous n’avions pas le droit à l’échec ». Quelques semaines avant l’ouverture de l’événement, une quarantaine de personnes s’est affairée pour y installer l’eau et l’électricité, nettoyer, repeindre et structurer les espaces d’exposition. La scénographie, imaginée par la directrice artistique Amandine Tochon, réussit la délicate opération de magnifier ce lieu brut en ré-utilisant le maximum d’éléments et matériaux laissés sur place.

L’endroit inspire d’ailleurs les artistes qui ont créé des installations in situ en résonance avec son histoire. C’est le cas d’Aïcha Snoussi qui investit la scène de l’amphithéâtre. L’eau coule sur la boue, long tissu de Bogolan aux formes sombres et enchevêtrées, semble prendre racine sur les rives de la rivière Kadiogo, où est construite l’arène du FESPACO.

Installation In situ "L'eau coule sur la boue" de l'artiste Aïcha Snoussi sur la scène de l’amphithéâtre. (c)BISO

Artisans et artistes, main dans la main 

BISO change de lieu mais pas d’ADN : depuis ses débuts, la biennale organise des résidences sous forme de « compétences croisées » qu’elle propose aux artistes sélectionnés, pendant 1 mois avant l’exposition. En étroite collaboration avec les artisans burkinabés, réputés pour leurs techniques ancestrales sur le bronze, le textile – bogolan et batik – la céramique ou la fonte à la cire perdue, les artistes se prêtent au jeu de l’exploration.

Établis ou émergents, ils bousculent leur pratique, en se confrontant à la matière et à de nouveaux savoir-faire. Inspirations mutuelles, les échanges invitent chacun à repousser les limites de sa propre création. Comme Sadikou Oukpedjo, connu pour ses peintures et ses sculptures en bois, qui a tenu ici à affronter le bronze pour la première fois. Il souhaitait le travailler « en grand, de peur d’être effrayé par le petit », précise-t-il, amusé. Pari réussi puisqu’il remporte le grand prix BISO 2023 avec ses Echassiers de 3 mètres de haut qui « scrutent le passé pour mieux comprendre l’avenir ». Ou encore Hamidou Koumare, originaire du Mali qui défie les contraintes de temps en présentant Transmission, sculpture de 6 mètres de haut, réalisée sur place en trois semaines.

Le bronze, savoir-faire burkinabé par excellence, s’invite aussi dans l’œuvre de Rachel Marsil qui le mêle au bois sculpté et au raphia tressé, en proposant Par mes yeux je touchais le soleil, une installation toute en poésie qui évoque l’abondance. Elle a été récompensée d’un des nombreux prix de la biennale.

Sadikou Oukpedjo repart avec le Grand Prix BISO 2023 pour ses sculptures en Bronze "Les Echassiers". (c)BISO

Le recyclage en ligne de mire

Devenu source d’inspiration majeure pour de nombreux artistes africains, la pratique du recyclage, très présente dans cette édition, reflète l’appel lancé à la conscience environnementale et le désir de sublimer l’ordinaire en donnant une seconde vie aux objets délaissés – pour une expression du renouveau ?

L’installation monumentale de Koffi Mens, ô-top-scie de mélanine, qui accueille les visiteurs, s’approprie le sujet de la colonisation, de ses ravages et de ses plaies encore ouvertes. Réalisée à partir de cannettes et bombes de peinture usées, l’œuvre dénonce aussi une société de consommation en surchauffe.

La série Reconnaissance de Demba Camara se joue aussi du recyclage, mettant en scène des personnages imaginaires hauts en couleur tandis qu’avec Mutile Système, effigie en caoutchouc de récupération, le performer et plasticien Shaka rend hommage aux ouvriers –  eux bien réels – mutilés au Congo pendant l’essor de l’industrie automobile.

À en croire l’énergie effervescente des amateurs, curieux et visiteurs burkinabés qui se sont déplacés massivement au vernissage le 4 octobre dernier, cette 3e édition rencontre son public et lève ses réticences, conjurant, semble-t-il, la malédiction qui entoure l’amphithéâtre du FESPACO. Djinns ou pas Djinns !

À découvrir jusqu’au 8 novembre.

Myriam Crété

BISO – 3e édition : Le feu des origines –  siège du FESPACO, jusqu’au 8 novembre, Ouagadougou – Burkina Faso.

Palmarès de la 3e édition de la Biennale Internationale de la Sculpture de Ouagadougou (BISO) :

  • Grand Prix et résidence à la Fondation Donwahi : Sadikou Oukpedjo (Togo)
  • Prix de la galerie Vallois : Koffi Mens (Togo-Burkina Faso)
  • Prix de la résidence Somian : Sébastien Boko (Bénin)
  • Prix Jean-Claude Gandur : Demba Camara (Côte d’Ivoire)
  • Prix de la galerie Christophe Person : Rachel Marsil (France-Sénégal) et Hamidou Koumaré (Mali)
  • Prix de la résidence de la galerie Vallois : Mélinda Fourn-Houngbo (France-Bénin)

 

Membres du jury : Hamady Bocoum (directeur du Musée des civilisations noires, Dakar), Illa Donwahi (cofondatrice et présidente de la Fondation Donwahi, Abidjan), Gauz (écrivain ivoirien), Abdoulaye Konaté (artiste malien) et Jean Servais Somian (designer ivoirien). Président : Barthélémy Toguo (artiste camerounais).

L'installation "ô-top-scie de mélanine", sous forme d'arche tout en canettes et bombes de peinture recyclées, de Koffi Mens. accueille le visiteur à l'extérieur du bâtiment du FESPACO. (c)Myriam Crété
Hamidou Koumare, Transmission, sculpture bronze de 6 mètres de haut. (c)BISO.
Vue intérieure de l’amphithéâtre FESPACO avec les oeuvres d’Abou Traoré et l’installation de Louisa Marajo. (c)Myriam Crété
Louisa Marajo, Le déluge est en nous, 2023, détail. (c)BISO
Rachel Marsil, Par mes yeux je touchais le soleil, sculptures et textile de raphia vert et jaune. (c)BISO
Demba Camara, Reconnaissance, sculpture recyclage. (c)BISO
Steeve Bauras, Drift-V, 2023. (c)BISO
Samuel Nnorom, Liquid Metal, 2023. (c)BISO
Sébastien Boko, La poésie des ancêtres, 2023. (c)BISO
Hervé Youmbi, Les ombres flamboyantes des masques agraires, 2023. (c)BISO
Shaka, Mutile Système, 2023, sculpture en caoutchouc. (c)Myriam Crété
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2 Commentaires

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