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Omar Mahfoudi, l’insoutenable légèreté de peindre

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De ses débuts tourmentés dans un Tanger en pleine effervescence au temps de la maturité dans son atelier parisien, la peinture d’Omar Mahfoudi fait figure de parcours initiatique. Délestées de la rage de la jeunesse, ses toiles se font plus introspectives, la matière s’allège mais l’intranquillité demeure. Ses derniers travaux sont actuellement exposés à L’Atelier 21 à Casablanca.

Le lieu est spartiate. Une grande pièce aux murs blancs, à peine meublée d’un bureau, d’étagères et de tableaux posés contre le mur. Aucune distraction ne vient perturber cet atelier niché au détour d’une ruelle pavillonnaire de Montreuil, tabassée par le soleil de juillet. Omar Mahfoudi vient de s’y installer. Quand on lui demande sur quoi il travaille, ce grand gaillard brun au regard retranché derrière l’épais cadre noir de ses lunettes dispose une vingtaine de dessins à même le sol. Le béton gris se tapisse d’une série de portraits qu’il prépare pour la foire 1-54 de Londres, où il sera représenté par sa galerie parisienne, Afikaris.

Le geste pose le personnage : Omar Mahfoudi est plus à l’aise pour montrer que pour parler. « J’ai commencé à dessiner avant de savoir écrire », précise-t-il d’ailleurs à propos de son enfance dans la kasbah de Tanger où il est né en 1981. Son premier contact avec la peinture, c’est l’image du père peintre en bâtiment qui rentrait à la maison avec ses gros pinceaux et les nuanciers de couleurs qu’Omar déployait avec fascination comme des éventails. Pas très bon à l’école, fan de mangas et peu inspiré par le futur, il se laisse orienter vers la section arts plastiques du lycée technique. Bac en poche, il plante là les études et commence à louer un atelier avec deux compères, Hamza Halloubi et Zakaria Ramhani.

Le trio refait le monde au café en dévorant les vieux numéros de Connaissances des arts dénichés chez les bouquinistes. Omar Mahfoudi se prend de passion pour Modigliani qu’il s’entraîne à copier. Son oeil se forme à la peinture occidentale, mais la figure de l’artiste reste à ses yeux incarnée par l’écrivain Mohamed Choukri et le peintre Mohamed Drissi. Il les rencontre au Bar de la Poste, à l’El Dorado, s’improvisant guide pour les journalistes étrangers qui cherchent à rencontrer ces icônes tangéroises. « Le Petit Socco, c’était ma réalité, je connaissais tout le monde dans les bazars. Choukri, Drissi, c’est eux ma référence. Les modèles locaux existaient mais ils n’étaient pas montrés. On me disait que ce n’était pas un bon exemple, je ne comprenais pas pourquoi. » Les fréquenter va repousser les limites de son horizon, jusque-là borné au milieu traditionnel familial. Un horizon qu’il n’a jamais cessé, depuis, de chercher à élargir.

Omar Mahfoudi, Les Égarés, 2019, acrylique sur toile, 100 x 100 cm. Courtesy de l’artiste et de la Fondation Montresso.

Nayda !

C’est dans les résidences d’artistes qu’Omar Mahfoudi découvre la rigueur de l’académisme. D’abord aux États-Unis, en 2009 et 2012, puis à la Cité des arts de Paris en 2016. Mais avant cela, il y a la Nayda, cette fameuse movida dont l’effervescence vient supplanter les souvenirs empoussiérés de la Beat generation. Tanger se réinvente une identité culturelle et Omar Mahfoudi est l’une des figures de proue de cette nouvelle scène. Les galeries d’art contemporain ne sont pas légion dans le Tanger des années 2000, mais les collectifs d’artistes qui voient le jour font feu de tout lieu. Les vernissages s’improvisent dans la kasbah et Mahfoudi expose ses premières toiles.

S’inscrivant dans la veine expressionniste, avec ce que cela comporte de cathartique, ses (auto)portraits tourmentés crient la rage d’un jeune homme aux prises avec l’injustice de la société marocaine et du monde en général. Trop occupé à vouloir vivre de son art, il ne cherche même pas à faire des petits boulots à côté. Deux expositions vont vraiment le lancer : chez Dar d’art à Tanger et à la Villa des Arts de Casablanca, toutes deux en 2008. La même année, ce passionné de cinéma réalise son premier court-métrage. Navigantès, qui montre les clients d’un café tangérois en pleine discussion politique, lui vaut d’être invité à une résidence artistique au Festival de Cannes. Que ce soit dans les vidéos expérimentales, les films d’animation marqués par sa fascination pour William Kentridge ou dans les séries de toiles et photographies qui suivront, Omar Mahfoudi fait parler sa révolte. Résolument engagée, son oeuvre est traversée par les remous et les drames de son époque, comme les printemps arabes (Printemps brûlé), les dictatures (Les Militaires, Les Colonels…) ou les migrations (L’Exode, Les Égarés).

Omar Mahfoudi, Golden Oasis #12, 2021, acrylique et encre sur toile, 110 x 110 cm

En quête de soi

L’année 2017 marque un tournant. Omar Mahfoudi vit désormais à Paris et devient père. La rage s’apaise. Les sujets politiques cèdent la place aux fictions personnelles. Très attaché à la matière à ses débuts, il lâche prise et renonce progressivement à l’idée de remplir la toile : les fonds restent blancs, la couleur se dilue, la palette se fait souvent monochrome. Il affectionne l’encre pour son côté fluide, capillaire, imprévu. « Quand j’attaque une toile, je n’ai jamais de projet. Je commence avec un aplat assez dilué à l’eau, puis je fais bouger la toile pour l’étaler. Parfois je balance des bouteilles d’eau, ou j’utilise un vaporisateur, une éponge… Puis à un moment j’arrête, pour figer ce que j’ai trouvé. » Aucun tracé préalable, ce sont les taches de couleur qui délimitent l’espace.

D’abord abstraite, la toile devient figurative sous les traits de pinceau qui révèlent dans un second temps un visage, une silhouette, un motif floral. Des coulures d’encre s’étirent vers le bas, victimes de la gravité terrestre comme les personnages qui semblent figés dans l’immobilité. Des hommes la plupart du temps, « parce que ça parle de moi ». Tout droit sortis de l’imaginaire du peintre qui ne travaille jamais d’après modèle, on ignore « s’ils sont perdus ou si ce sont des âmes ». Invariablement seuls dans une nature dont on ne sait si elle est ressourçante ou menaçante, ils invitent à l’introspection. Pour Omar Mahfoudi, peindre est « un combat », un bouillonnement de tensions, d’inquiétude, « quelque chose à l’intérieur que je sors en silence ». Contempler ce qui advient sur la toile l’apaise, lui permet de comprendre ce qui se passe en lui. Comme s’il avait besoin de la peinture pour penser. Ou panser.

Omar Mahfoudi, Le fantôme bleu, 2022, acrylique et encre sur toile, 60 x 60 cm

Ces dernières années, Omar Mahfoudi a desserré la focale et intégré le paysage dans ses compositions. Une façon de se « réintéresser à la lumière, à la forme des arbres, des fleurs. Le paysage est un espace ouvert, de liberté ». Le confinement n’y est pas pour rien. Sa fascination pour les grands maîtres de l’estampe japonaise, comme Hokusai, non plus.

On retrouve cette influence dans les motifs floraux des Fleuristes de l’Atlas, ou dans la série El Dorado, montrée lors de sa première exposition personnelle chez Afikaris il y a deux ans. « L’ambition n’est pas de représenter la nature, mais de retrouver ses vibrations, son souffle cosmique. Entrer en résonance avec l’univers tout entier », écrit notre confrère Olivier Rachet dans la monographie publiée par Afikaris à l’occasion du solo show que lui a consacré la galerie en décembre. « The Forgotten Branches » parle de l’enfance, de cet âge où l’on grimpait aux arbres. Mais les ramifications sont ici des métaphores de ce qui nous raccorde au passé, à nos ancêtres.

Métaphore aussi d’un paradis perdu, comme dans les toiles que l’on retrouve actuellement, à Casablanca cette fois-ci, dans une exposition à L’Atelier 21 intitulée « I was Dreaming of the Past ». Une occasion de (re)découvrir une oeuvre tout en émotion qui, dépouillée de la rage contestataire des débuts, gagne en maturité et nous engage sur le chemin de la quête de soi : « Je ne cherche pas à exprimer, je crois en le plaisir de peindre. À la fin, c’est la peinture qui parle pour elle-même. »

Laetitia Dechanet

Portrait en Une: © Candice Nineh
« I was Dreaming of the Past », Omar Mahfoudi, L’Atelier 21, Casablanca, jusqu’au 24 février 2023.
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