Recel à Casablanca
L’affaire avait défrayé la chronique judiciaire. Un tableau du Guerchin, peintre baroque de la Renaissance italienne, volé dans l’église de Modène en 2014, avait été retrouvé dans le quartier Hay Hassani de Casablanca. Patrick Soumet s’empare de ce fait divers atypique pour imaginer les circonstances abracadabrantes ayant conduit ce tableau de maître intitulé La Vierge, Saint-Jean l’Évangéliste et Grégoire le Thaumaturge d’un lieu de culte italien à un quartier populaire marocain. Il met en scène trois amis, férus de boxe thaïlandaise : Saad, Lino et Ali, étudiant en histoire de l’art, ayant l’idée folle de dérober ce tableau afin de faire fortune. Nous voilà embarqués dans une savoureuse aventure qui nous mène de Modène à Marrakech, en passant par Marseille et Tanger. Enroulé comme un vulgaire tapis après avoir été enlevé de son châssis, la toile du Guerchin connaîtra moult péripéties plus rocambolesques les unes que les autres. En arrière-plan, le roman dessine les arcanes d’un marché de l’art sans vergogne où les receleurs côtoient des collectionneurs clandestins et des marchands peu scrupuleux. Une pure fiction, vous dit-on !
Patrick Soumet, Le Voleur de Modène, éditions Edilivre, 144 p., 180 DH
Petits meurtres entre artistes
Quelque chose ne tourne pas rond dans le milieu de l’art contemporain. Une ministre de la Culture est assassinée sans mobile apparent. Une critique d’art enquête et se retrouve plongée au cœur d’un vaste trafic d’œuvres d’art pillées dans les zones de guerre du Moyen-Orient. Un étrange collectif appelé RAGE prône le « Retour à l’Art, au Goût et à l’Élégance », vandalisant des œuvres exposées au Louvre, au Mucem ou à la Fondation Vuitton. Un photographe contemporain prolonge ses mises en scène macabres dans un club libertin de la capitale française. Sous les abords d’un roman policier haletant, multipliant les fausses pistes, Hélène Bonafous-Murat, experte en estampes et romancière talentueuse à ses heures perdues, explore à travers une évocation savante d’œuvres classiques et modernes les liens que l’art entretient toujours peu ou prou avec la morale et la subversion qui lui est latente. Au lecteur de suivre une enquête pleine de rebondissements et de s’interroger sur la notion toute relative de bon ou de mauvais goût. D’une brûlante actualité.
Hélène Bonafous-Murat, Avancez masqués, éditions Le Passage, 416 p., 250 DH
Crimes de maîtres
C’est à une véritable enquête « criminartistique » que se livre Christos Markogiannakis en passant en revue une vingtaine d’œuvres emblématiques abritées par le musée d’Orsay, qui toutes représentent des scènes de crime. De la mort d’Orphée sublimée par Gustave Moreau en passant par le martyre de Saint-Sébastien représenté par le peintre René Piot, combinant selon l’auteur « les principes esthétiques nabis et les codes de la Renaissance italienne », jusqu’à ce tableau peu connu de Cézanne, La femme étranglée, qui nous plonge dans l’intimité d’un assassinat domestique, l’auteur, un ancien avocat pénaliste, montre qu’art et meurtre font parfois bon ménage. En s’appuyant sur les principes de la criminologie contemporaine, Markogiannakis revisite de façon savoureuse l’histoire de l’art, tout en nous montrant la permanence des pulsions de meurtre pouvant habiter chacun de nous. Dans la lignée de l’ouvrage de Thomas de Quincey, De l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts, et d’un précédent ouvrage intitulé Scènes de crime au Louvre, ce livre atypique qui se lit comme un véritable roman policier nous rappelle aussi que l’art constitue aussi la plus salutaire façon de sublimer le mal. Un tableau, après tout, n’a jamais tué personne !
Christos Markogiannakis, Scènes de crime à Orsay, éditions Le Passage, Collection « Beaux-Arts », 256 p., 280 DH
Par Olivier Rachet